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enseignement secondaire fortement organisé, harmonieux, et qui avait fait ses preuves ; enseignement incomparable au point de vue français, puisque nulle part à l’étranger on n’en trouvait l’équivalent ; c’était lui qui avait formé notre esprit, sinon notre caractère, et qui y avait mis sa marque au temps où la primauté de l’esprit français dans le monde était incontestée. Cet enseignement, on s’est d’abord évertué à le fausser, à l’altérer, à le diminuer. Aujourd’hui, on en vient à se demander combien de temps mettront à tomber les quelques pans de mur encore debout de l’édifice miné, lézardé et ruineux.

Je n’ignore pas à quel ordre de préoccupations ont obéi les promoteurs de la dernière réforme de l’enseignement, et c’est ici le centre du débat. « Cet enseignement des humanités, disent-ils, vous pouvez l’admirer et le regretter, mais vous ne pouvez empêcher qu’il n’ait fait son temps. Ce n’est pas de nos réformes qu’il souffre, c’est de sa longévité. Il arrive que le malade meure des remèdes qu’on lui fait ; il arrive aussi qu’il meure de sa maladie ; c’est le cas. Comment aurions-nous pu fermer l’oreille aux réclamations qui s’élevaient de toutes parts ? Comment méconnaître une opinion qui se faisait jour dans les écrits de tous les publicistes, à quelque parti d’ailleurs qu’ils appartinssent ?… » Ils n’ont pas réfléchi que, comme on le faisait remarquer dans un livre récent[1], ces critiques sont aussi anciennes que l’enseignement auquel on les adresse et qu’on n’a pas attendu le XIXe siècle pour se plaindre d’un enseignement qui date du XVIe. C’est au début du XIVe siècle qu’un poète s’exprimait en termes déjà rudes sur le compte des maîtres qui avaient perdu sa jeunesse et, comme dirait M. Lavisse, manqué son éducation :


… C’étaient de grands bêtes
Que les régens du temps jadis,
Jamais je n’entre en Paradis
S’ils ne m’ont perdu ma jeunesse.


Après Marot, Rabelais n’était guère moins sévère, et, à l’en croire, un élève formé par les méthodes d’enseignement usitées de son temps en devenait « fou, niays, tout resveux et rassoté. » Montaigne à son tour déplorait qu’on ne s’adressât qu’à la mémoire de l’enfant, qu’on fût sans cesse à « criailler à ses oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir. » Descartes, ses études terminées, faisait retour sur lui-même et s’apercevait qu’il ne savait rien. D’un bout à l’autre du

  1. Conférences pour le temps présent, 1 vol. (Lecoffre).