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l’Empereur. Le commandement même qui lui fut confié en Espagne indiquait que, sans avoir pour lui une amitié ou une préférence particulières, Napoléon comptait sur lui comme sur un de ses meilleurs soldats. Il ne le traita durement qu’après Baylen.


II

Il est temps d’étudier de près ce douloureux épisode de l’épopée impériale, premier échec infligé à nos armes après tant d’années de gloire. MM. Clerc et Titeux mettent entre nos mains tous les élémens d’information : documens recueillis aux Archives de la Guerre, aux Archives nationales, mémoires inédits et correspondance du général Dupont, lettres et rapports des généraux espagnols, ouvrages militaires et géographiques. Aucun détail n’échappe à leur érudition. Tous deux sont d’accord pour ne rien laisser subsister des accusations véhémentes portées par Napoléon dans un premier mouvement de colère contre un lieutenant malheureux. Les gros mots de trahison et d’infamie seraient ici déplacés. Il y a bien des années qu’on ne les prononce plus. Depuis près de cinquante ans, M. Thiers en a fait justice dans un récit plein de mesure. Dupont avait fait ses preuves sur vingt champs de bataille, il était brave, d’une bravoure incontestée. Quoi qu’ait pu dire l’Empereur dans une explosion de fureur sincère ou feinte, personne n’avait le droit de supposer qu’il eût capitulé par lâcheté.

Les reproches qu’on lui adresse sont d’un ordre tout différent. Avant d’en aborder l’examen, établissons bien les responsabilités, comme la fait le premier avec beaucoup de force M. le lieutenant-colonel Clerc. La capitulation de Baylen ne peut pas être isolée des événemens qui la précèdent ; elle n’est que la conséquence lointaine d’une politique et d’une stratégie déplorables. L’Empereur reconnaissait à Sainte-Hélène le mal que lui avait fait la guerre d’Espagne. Si cette âme orgueilleuse avait été capable de remords, elle aurait avoué qu’il ne s’agissait pas seulement d’une de ces fautes qui perdent un empire, mais d’un de ces crimes qui déshonorent un règne. La déloyauté avec laquelle fut traitée la famille royale d’Espagne est la cause initiale de tous les malheurs qui suivirent. Par le guet-apens de Bayonne, Napoléon réussit à rendre populaire une dynastie sans crédit et sans