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prestige. Il lui donne une auréole, celle du malheur. Le prince des Asturies allait être enveloppé dans le mépris universel qui s’attachait à son père et à sa mère. En mettant la main sur son héritage, en lui substituant un étranger, l’Empereur fait de lui l’élu de la nation, le représentant de la religion et de la patrie. Une nation, une religion, une patrie, grandes forces morales dont Napoléon méconnut constamment la portée dans ses combinaisons de famille, dans les remaniemens qu’il fit subir à la carte de l’Europe. Il ne se demandait pas ce qui convenait aux peuples, ce qui répondait à leurs besoins, à leurs traditions ou à leurs croyances. Il imposait d’en haut ses candidats et, dans sa confiance en lui-même, il ne lui venait même pas à l’esprit que les élus de son choix ne seraient pas accueillis avec gratitude par les populations. Ne suffisait-il pas qu’il les eût choisis ? Quelqu’un pouvait-il contester sa toute-puissance et sa clairvoyance ? Ailleurs, il rencontra des races molles et des sujets dociles. En Espagne, il se heurta sans le prévoir, sans même l’avoir soupçonné, avec une inconscience extraordinaire, à la résistance d’une race fière et violente.

Ce fut comme une traînée de poudre. Quoique l’armée française se présentât encore en alliée, la mauvaise foi de son chef l’avait discréditée d’avance. En quelques jours, une partie de la population des villages, des bourgs, des villes se leva pour repousser l’étranger, l’envahisseur, l’ennemi de la foi et de la patrie. Dans ce pays peu centralisé où chaque province conserve une sorte d’autonomie, on commence par l’insurrection locale. On surveille les routes, on garde les défilés des montagnes, on se jette par bandes sur les convois isolés, sur les traînards, sur les blessés. Chaque groupe agit pour son compte en attendant une organisation centrale. Plus tard on s’organisera, on créera un gouvernement, des chefs et des armées. Pour le moment, il s’agit de ne laisser aux Français aucune illusion sur le sort qui leur est réservé, de leur présenter partout, sur toutes les routes où ils passeront, la pointe des poignards ou le canon des carabinés. C’est la guerre nationale, mais c’est aussi la guerre sainte. Les prêtres et les moines sont autorisés à prendre les armes pourvu que ce soit pour tuer des Français. On compose des batteries d’artillerie et des compagnies d’infanterie avec des séminaristes. Des corps de combattans portent des croix sur la