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l’avoir, de se porter avec rapidité au secours de Dupont, d’opérer coûte que coûte sa jonction avec un corps d’armée en danger. Dans la pensée du quartier général, le danger n’existe pas. Vedel ne doit se préoccuper de la situation de Dupont que si celle-ci devenait chanceuse. « Ce que l’on n’a aucune raison de présumer, ajoute Savary, puisque jusqu’à cette heure les plus grandes insurrections ont été dissipées par moins de vingt coups de canon et deux bataillons. » — « Je n’ai plus d’inquiétude pour Dupont, » écrivait-il un peu plus tard.

Tel est l’état d’esprit du quartier général, quelques jours avant Baylen ; voilà les illusions dont on se berce à la veille de la catastrophe. Savary d’ailleurs n’a que la direction nominale des opérations. Au-dessus de lui plane l’Empereur qui tranche souverainement toutes les questions, qui parle et ordonne en maître. Le corps de Dupont, la conquête de l’Andalousie : choses secondaires pour lui, affaires de détails que le temps arrangera. Il écrit même qu’un échec que recevrait Dupont n’aurait pas d’importance. Ce qui importe avant tout, c’est de ne pas découvrir Madrid, siège du gouvernement, centre du quartier général. Habitué à la centralisation française, il s’imagine que tenir la capitale, c’est tenir le pays. Raison de plus pour que Savary, lui aussi, se désintéresse de ce qui se passe au-delà de Madrid et n’envoie qu’en rechignant des renforts à Dupont.


III

Ici se pose la question capitale, celle qui domine tout le débat. Dans les préparatifs de la campagne, dans l’ordre de marche, dans les élémens de combat qu’on met à sa disposition, aucune responsabilité ne pèse sur Dupont. Ce n’est pas de sa faute si, au lieu de concentrer les troupes françaises autour de Madrid et de n’envahir l’Espagne que progressivement, avec méthode et en forces, on le dirige vers Cadix en le laissant en l’air sur la route, avec des soldats de qualité médiocre, en nombre insuffisant. Ce n’est pas de sa faute si personne, ni à Bayonne, ni au quartier général, n’a paru soupçonner l’existence de l’armée nombreuse et forte qui allait lui être opposée. Sa responsabilité ne commence qu’au moment de l’action ; en face de l’ennemi, sur le champ de bataille, a-t-il fait tout ce qu’il était humainement possible de faire pour éviter la catastrophe ?