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aux intendans, en février 1732, — s’exerce à faire la répartition avec injustice… »

L’expérience de 1710 est un des exemples les mieux faits pour mettre en relief les vices radicaux de l’impôt personnel sur le revenu, d’autant plus que l’un de ses principaux historiens n’est autre que Saint-Simon, dont il serait fâcheux de ne pas citer ici les pages fameuses. Il raconte d’abord les origines de la Déclaration royale du 14 octobre 1710, établissant la taxe du dixième du revenu de tous les particuliers ; comment Desmarets en eut l’idée ; comment il fit préparer son projet par une commission de « gens bien triés à digérer l’affaire et à dresser l’édit d’une exaction si monstrueuse, » et continue ainsi :

« Ces commissaires travaillèrent donc avec assiduité et grande peine à surmonter les difficultés qui se présentaient de toutes parts. Il fallait d’abord tirer de chacun une confession de bonne foi, nette et précise, de son bien, de ses dettes actives et passives, de la nature de tout cela. Il en fallait exiger des preuves certaines et trouver les moyens de n’y être pas trompé. Sur ces points roulèrent toutes les difficultés. On compta pour rien la désolation de l’impôt même dans une multitude d’hommes de tous les états si prodigieuse, et leur désespoir d’être forcés à révéler eux-mêmes le secret de leur famille, la turpitude d’un si grand nombre, le manque de bien suppléé par la réputation et le crédit, dont la cessation allait jeter dans une ruine inévitable, la discussion des facultés de chacun, la combustion des familles par ces cruelles manifestations et par cette lampe portée sur leurs parties les plus honteuses ; en un mot, plus que le cousin germain de ces dénombremens impies qui ont toujours indigné le Créateur et appesanti sa main sur ceux qui les ont fait faire, et presque toujours attiré d’éclatans châtimens.

« Moins d’un mois suffit à la pénétration de ces humains commissaires pour rendre bon compte de ce doux projet au cyclope qui les en avait chargés. Il revit avec eux l’édit qu’ils en avaient dressé tout hérissé de foudre contre les délinquans qui seraient convaincus, mais qui n’avait aucun égard aux charges que les biens portent par leur nature, et dès lors il ne fut plus question que de le faire passer.

« Alors Desmarets proposa au roi cette affaire dont il sut bien faire sa cour ; mais le roi, quelque accoutumé qu’il fût aux impôts les plus énormes, ne laissa pas de s’épouvanter de celui-ci.