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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/261

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intendans ; n’oublions point le bon et sage Vauban. Quelle condamnation de l’impôt personnel sur le revenu dans son admirable Dîme royale de 1707, si généreuse, si forte dans la partie descriptive et critique, quoique chimérique dans les voies et moyens proposés ! Lisez son récit de « ce qui s’est passé dans la banlieue de Rouen, » rien, dit-il, « n’étant plus capable de faire concevoir plus vivement combien sont grands les maux de la taille personnelle ! »

Il y avait là trente-six paroisses, entourant la ville, qui avaient à payer ensemble 25 000 livres de taille. Elles obtinrent, par un arrangement avec la Ville, de remplacer la taille par des droits de consommation, et ces droits s’élevèrent à 45 000 livres, presque le double de leur taille. Ces trente-six paroisses furent dans la joie la plus vive et devinrent un objet d’envie pour toutes les autres communes de la contrée !

De même à Honfleur : les habitans, qui devaient 27 000 livres de taille, avaient pu racheter leur impôt moyennant pareille somme, qu’ils payaient autrement, et avaient consenti, en plus, à y ajouter une somme de 100 000 livres, « tant les désordres causés par l’imposition et la levée des tailles leur ont para insupportables ! »

Voilà pourquoi Vauban proposa, en vain d’ailleurs, de supprimer la taille personnelle.

Les abus, les maux intolérables continuèrent. Les collecteurs, — commissions locales, — persistèrent à atténuer les cotes des taxes pour eux et leurs amis et à surélever les cotes de leurs adversaires, de leurs rivaux, de leurs concurrens. « De laboureur à laboureur, le plus fort accable le plus faible, » avait dit Vauban, décrivant le spectacle qu’il avait eu sous les yeux.

Et, plus tard, l’abbé de Saint-Pierre, dans sa Taille tarifée : « L’injustice des collecteurs est connue de tout le monde ; et, même, à considérer les ressorts ordinaires des actions humaines, l’inclination pour les uns, l’aversion pour les autres, les menaces des supérieurs et des créanciers, les promesses des riches, le désir de se venger, il est impossible qu’ils ne soient pas injustes et qu’ils ne fassent pas leur répartition avec beaucoup de disproportion et d’iniquité. »

« Toute la subtilité et toute la malice de l’esprit humain, — écrivait de même le contrôleur général Orry, dans une circulaire