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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/267

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« On trouve, en entrant dans le détail, que les officiers de justice, que les gentilshommes, que les bourgeois payent déjà, communément parlant, le dixième. A quoi serviroit-il de faire un si grand changement et de causer un déplaisir aussi vif aux familles que celui d’être obligé de révéler leurs facultés, sans en tirer une utilité évidente ? Cela seroit bon dans un pays qui ne payeroit ni taille ni capitation.

« Ne voyant donc pas, ni de possibilité pour un prompt secours, ni d’utilité, et beaucoup d’inconvéniens, il me semble qu’il n’est pas à propos de s’exposer à tous les mouvemens qui pourroient arriver dans la conjoncture présente pour un établissement aussi contraire à l’inclination et au goût de tout le monde, et qui produira dans la plupart tout le chagrin et tout le déplaisir que l’on peut attendre. On a toutes les peines du monde à faire lever la taille et la capitation : il faut souvent y employer les troupes en cette province. Comment peut-on espérer de faire facilement cette nouvelle levée, qui sera encore bien plus désagréable ? Sur quoi il faut observer que l’on perdroit la capitation des artisans, des domestiques, des paysans, de la plupart des marchands, qui n’ont pas de revenus fixes, et dont le bien consiste en marchandises ; et cette perte seroit peut-être plus grande que le profit qu’on tireroit du dixième des revenus de ceux qui en ont. »


Il n’est pas un mot dans cette lettre, comme dans le récit de Saint-Simon, qui ne s’applique aussi exactement aujourd’hui au projet d’un impôt sur le revenu général qu’autrefois à la taxe du dixième, parce que le cœur humain n’a pas changé, ni les intérêts, ni la nature des choses, ni l’horreur de notre race pour l’arbitraire et pour l’inquisition, ressorts essentiels de tout impôt personnel sur le revenu, qui est, qui fut, qui sera, toujours suivant l’expression de M. De Basville : « la dernière des extrémités, et si contraire au génie de la nation qu’il ne peut lui arriver rien de plus insupportable. »

Les suites de la Déclaration de 1710 furent ce qu’elles ne pouvaient pas ne pas être. Malgré la volonté si puissante du roi, malgré les efforts d’une administration non moins centralisée, non moins assouplie et obéissante, mieux armée encore que celle d’aujourd’hui, l’ordonnance royale ne put être vraiment exécutée. L’universalité et l’énergie des résistances sont