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membres les plus populaires. Dans le silence d’effarement qui suivit l’accusation, Hérault de Séchelles ne trouva que deux défenseurs. Son collègue Bentabolle fit timidement remarquer que Lepelletier de Saint-Fargeau avait agi comme Hérault dans le ci-devant Parlement et qu’il n’en avait pas moins « mérité le Panthéon. » Couthon prit aussi la parole pour déclarer qu’il ne serait pas juste de condamner Hérault sans l’avoir entendu. Couthon était l’ami de Robespierre. Il n’ignorait pas les sentimens de haine voués par celui-ci à Hérault de Séchelles. Son intervention était donc aussi extraordinaire qu’inattendue. Elle dispose à conclure que Robespierre était moins pressé d’assouvir sa vengeance que soucieux de la rendre plus sûre et plus éclatante en accordant à l’accusé le temps de préparer sa justification qu’il savait devoir être vaine, puisque déjà il l’avait secrètement condamné.

Hérault de Séchelles reçut à Colmar le compte rendu de ce court débat. Il se préparait à rentrer à Paris, à la suite d’un autre incident non moins grave et qui ne pouvait lui laisser aucun doute sur l’existence du complot ourdi contre lui. Son collègue Lemaire, délégué par la Convention aux armées du Rhin, était venu tout ému lui communiquer une lettre adressée au maire de Strasbourg, signée marquis de Saint-Hilaire, dans laquelle il était dit que, lui, Hérault, trahissait et se disposait à livrer Colmar à l’étranger. « Il m’a tout promis, » affirmait le signataire.

La lettre était apocryphe, le nom de son auteur inconnu, et l’affirmation qu’elle contenait calomnieuse. Hérault fut convaincu que le coup partait de Paris. Il convoqua le même jour la société populaire de Colmar et lui donna lecture du document accusateur. « Vous me connaissez, ajouta-t-il. Mais il importe au salut public que vous employiez toute votre sagacité, tous vos efforts pour dénouer une trame infernale dont un des fils vient de paraître et se renoue sans doute à quelque conspiration nouvelle. Voilà principalement l’objet pour lequel je vous ai rassemblés tous. Il est temps que cette manœuvre tombe et que le peuple connaisse les maux qu’on lui prépare en décriant et en s’efforçant de décrier ses plus sincères, ses plus fidèles amis. » Pour finir, il annonça qu’il allait demander son rappel à la Convention. Des protestations éclatèrent. On l’adjurait de rester, on ne voulait pas qu’il partît. Peut-être eût-il définitivement cédé.