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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/455

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vu de romanesques, de sentimentales et de sensuelles. Qui est Marianne ? Au moment où la pièce commence, elle nous est donnée pour une très honnête femme : elle a reçu une éducation sérieuse dans une famille de province, elle a sous les yeux l’exemple d’une mère excellente, elle aime son mari, elle a un passé irréprochable, elle est intelligente, elle a une certaine noblesse de sentimens. Comment se fait-il qu’une telle femme prenne un amant ? Ce n’est ni par amour, ni par besoin des sens, ni par faux idéal romanesque et perversion de l’imagination. Peut-on dire qu’elle ait peu à peu subi l’influence d’un monde où la vertu est tenue pour pruderie et la chasteté pour duperie ? Mais elle côtoie ce monde, plutôt qu’elle n’en fait partie. Agit-elle par représailles ? Mais son mari lui est fidèle, et jamais encore une femme n’a invoqué comme excuse à sa faute que son mari préférât les études historiques au travail du barreau. Comment s’explique cette chute, qui pour une Mme Chantraine est un accident sans importance, ou plutôt un incident de la vie conjugale, mais qui, pour une Mme Darlay, est une énormité ? Tout bonnement les auteurs ne l’expliquent pas. Ils estiment que dans la vie il faut faire la part de l’inexpliqué ; ils ne réfléchissent pas qu’au théâtre, il faut restreindre cette part autant que possible et que nous n’y acceptons pas ce qu’on n’a pas pris soin de nous faire comprendre et admettre.

Le personnage du mari est d’une composition à peine plus serrée. On nous l’a présenté comme un sceptique, dilettante nonchalant, ami de ses aises, ennemi du scandale, du fracas, des grands gestes et des grands mots. Il a de la bonté et ne pèche pas par excès d’illusions, ce qui mène à être indulgent. Le caractère étant ainsi indiqué, la pièce pouvait s’orienter dans un sens exactement opposé à celui qu’on lui a fait prendre. Un homme de la nature de Darlay a été trompé par sa femme, et il sait que cette faute a été l’erreur d’un moment aussitôt regrettée : cette femme qu’il aime et qui l’aime se repent, implore sa pitié. Qu’y aurait-il de surprenant, de contraire aux vraisemblances, d’illogique, à ce qu’il lui accordât ce qu’on appelle le pardon ? Il n’y eût pas manqué, si la pièce eût été composée voilà dix ans. En ce temps-là le pardon était à la mode et on lui trouvait un air d’élégance. Le vent a tourné. MM. Capus et Arène sont de leur temps, on ne saurait leur en vouloir. Il leur a plu que Darlay fût impitoyable. Ils ont préféré la sévérité à l’indulgence. Mais l’une ou l’autre était également compatible avec toutes les données de la pièce. C’est dire que la solution qu’ils apportent au cas proposé par eux est arbitraire. Elle perd ainsi toute signification.