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d’odieuses calomnies et de dénonciations qui aboutit à l’exil de cet homme de bien. De toutes les mauvaises actions où les poussa l’esprit sectaire, c’est l’une des plus abominables.

Les Relations furent continuées sous la direction de Vincent de Paul. On sait par elles, et par d’autres documens du temps, le détail de la tâche entreprise. Le plus pressé pour la santé publique était de débarrasser la surface du sol, dans les provinces où l’on se battait, des corps en putréfaction et des immondices laissées derrière elles par les armées. Il y avait telle petite ville d’où s’exhalait une puanteur si effroyable, que personne, dans le pays, ne voulait en approcher. Une Relation de 1652 décrit en ces termes les environs de Paris : « A Etrechy, les vivans sont mêlés avec les morts, et le pays en est rempli. A Villeneuve-Saint-Georges, Crosne, Limay, on a trouvé trois cent soixante-quatorze malades dans la dernière extrémité, ni lits, ni habits, ni pain. Il va falloir commencer par enlever le foyer d’infection qui augmente la maladie, en enterrant les cadavres d’hommes, de chevaux morts et de bestiaux, et toutes les saletés que produit le séjour d’une armée. » Le nettoyage du sol fut la spécialité de M. Vincent et l’un de ses bienfaits les plus signalés. Il y employa ses prêtres de la Mission et ses sœurs de charité. Les missionnaires se mettaient à la tête des ouvriers, les sœurs recherchaient les malades abandonnés. Soutanes et cornettes mouraient à la peine, « les armes à la main, » disait leur chef, mais leur œuvre était bonne ; on commençait enfin par le commencement.

Après les morts, les vivans : « Le curé de Boult[1], rapporte une autre Relation, nous a assuré avoir enterré trois de ses paroissiens morts de faim ; les autres n’ont vécu que de pailles hachées et mêlées avec de la terre, dont ils composent un manger que l’on ne peut appeler pain. Cinq chevaux puans et pourris ont été dévorés ; un vieillard, âgé de soixante-quinze ans, est entré à son presbytère pour faire rôtir à son feu un morceau de chair de cheval mort de gale depuis quinze jours, infecté de vers et jeté dans un bourbier puant. « A Saint-Quentin, dans les faubourgs, où les maisons avaient été démolies, les missionnaires découvrirent les derniers habitans dans des cabanes misérables « en chacune desquelles, écrivait l’un d’eux,

  1. En Picardie.