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émanations du Gulf-Stream, ni l’haleine des vents du Sud-Ouest, est bloquée par les glaces pendant toute l’année ; quant à la côte Nord ; elle est ordinairement accessible par l’Ouest, mais les vents du Mord y sont redoutés par les navigateurs, parce qu’ils y accumulent des glaçons, qui bloquent parfois leurs vaisseaux au cœur de l’été, jusqu’à ce qu’un changement dans la direction du vent vienne les dégager.

En dépit des conditions climatologiques spéciales à la région du Spitzberg, on conçoit qu’une terre aussi proche du pôle n’en a pas moins tous les aspects d’une terre polaire : c’est un vaste groupe de cimes glacées, d’où descendent jusqu’à la mer une infinité de fleuves gelés dont les plus énormes glaciers des Alpes peuvent à peine donner une |idée. Le pays est inhabité et inhabitable : le bétail n’y saurait subsister, à cause de l’absence complète d’herbages ; le renne sauvage est le seul ruminant qui puisse y vivre, la nature l’ayant pourvu d’une sorte de pelle située à la partie inférieure de ses cornes, à l’aide de laquelle il peut trouver sous la neige le lichen dont il se nourrit. La faune est encore représentée par des renards bleus, dont la fourrure est très recherchée, et par des campagnols. Il n’y a ni reptiles, ni insectes, et le lagopède est à peu près le seul oiseau. L’ours blanc ne se trouve guère que sur le littoral oriental et dans quelques vallées de l’intérieur. Toutefois, on le rencontre parfois à l’Ouest, comme l’atteste la fin tragique du docteur Neumayer qui, en 1899, au cours d’une lutte avec un de ces terribles plantigrades, fut tué par le coup de fusil d’un de ses compagnons accouru à son aide. Sur les côtes abondent les phoques, et, dans le Nord, les morses qui forment de redoutables troupeaux. La flore n’est guère représentée que par des mousses ; cette terre disgraciée ne produit ni herbes, ni arbrisseaux, ce qui n’est point surprenant si l’on songe que l’hiver y dure huit mois, avec une nuit polaire de trois mois et une température qui descend jusqu’à 45 degrés au-dessous de zéro. Au cours de l’été, il y a des tempêtes de neige et d’épais brouillards, et la température est, en cette saison, celle de nos hivers, variant entre 10 degrés au-dessus de zéro et 10 degrés au-dessous de zéro. En dépit de ses rigueurs, le climat est extrêmement sain. L’air y est pur et vivifiant, absolument dépourvu de bactéries, et l’homme qu’on y abandonnerait dans la solitude du désert n’y saurait périr que de faim ou de froid.