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Malgré les conditions exceptionnelles du climat qui rendent si aisé l’accès de la côte occidentale du Spitzberg, il n’y avait autrefois d’autre moyen d’y atteindre que de s’embarquer sur un de ces misérables petits bateaux de pêche sur lesquels les Norvégiens, ces hardis descendans des Vikings, affrontent les tempêtes de la mer Glaciale. Aussi le Spitzberg, malgré la proximité de la Norvège, dont il n’est qu’une partie détachée, ne fut-il visité pendant longtemps que par les pêcheurs et les chasseurs que tentait la poursuite des morses et des baleines. Mais dans ces dernières années, cette terre lointaine a été plus souvent explorée. Nansen raconte que lorsqu’il revînt, en 1895, de son fameux voyage au pôle Nord, la nouvelle qui l’étonna le plus fut celle de la création d’un service régulier de bateaux à vapeur à l’usage des touristes entre l’Europe et le Spitzberg. Depuis que, en 1897, Andrée choisit l’île des Danois comme point de départ de sa fatale expédition, ce lieu célèbre a attiré nombre de curieux, et le Spitzberg est devenu ainsi, pour les touristes d’élite, la terre classique des excursions estivales. Chaque année, pendant les mois de juillet et d’août, on organise en Allemagne des croisières qui conduisent le voyageur aux points les plus remarquables de l’archipel polaire.

C’est grâce à une de ces croisières, instituée par le capitaine Bade, que j’ai pu réaliser l’avant-dernier été un vieux rêve que je caressais depuis un voyage que je fis au Cap Nord il y a une trentaine d’années. Cette promenade au Spitzberg fut décidée deux jours avant mon départ : je songeais alors tout simplement à aller revoir la Finlande, le délicieux pays des mille lacs que j’avais déjà parcouru jadis ; mais j’avais compté sans le capitaine Bade, qui est un charmeur. Le 27 juillet, il m’adressait une jolie carte postale, illustrée d’un merveilleux glacier du Spitzberg, par laquelle il me faisait savoir qu’il venait de rentrer de sa première croisière à l’archipel polaire, où il avait trouvé un temps superbe pendant que l’Europe était affligée, par la suite sans doute des éruptions du Mont Pelée, d’un été pluvieux et froid ; il me prédisait, avec son assurance de vieux marin, que sa prochaine expédition serait favorisée d’un plus beau temps encore, le mois d’août étant la véritable saison d’été dans les contrées polaires. Et il me pressait de prendre part à la croisière à bord de l’Oihonna. J’oubliai tout de suite les mille lacs de la Finlande, n’ayant plus d’autre désir que d’aller affronter les