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sa petite mosquée, toutes ses terrasses blanches que la lueur des étoiles rend bleuâtres. Il doit y avoir fête nocturne, car on commence d’entendre les tambourins, les flûtes et, de temps à autre, le cri de joie des femmes, qui est strident comme, en Algérie, le cri des Mauresques...

Je ne sais dire quel charme d’Orient et de passé enveloppe ce petit pays très isolé sur terre et empli de vieilles musiques naïves, à cette heure de minuit où nous venons le surprendre sous ses hauts palmiers... Mais mon serviteur, qui est un matelot ignorant les métaphores et n’employant les mots que dans leur sens absolu, m’exprime en ces termes tout simples son ravissement craintif : « Il a un air, ce village,., un air enchanté ! »


Vendredi 21 avril. — Au radieux lever du jour, concert éperdu d’hirondelles, de moineaux et d’alouettes. Limpidité absolue du ciel et des lointains ; calme paradisiaque, dans le village et dans les champs. On est ici à quinze ou dix-huit cents mètres d’altitude, dans un air si pur que l’on se sent comme retrempé de vie et de jeunesse. Et c’est un enchantement, que de se réveiller et de sortir.

Au-dessus des loges en terre battue, où nos muletiers se sont entassés avec nos bêtes, nous avons dormi dans l’unique chambrette haute, — entre des murs de terre aussi, il va sans dire, — et, ce matin, les toits du caravansérail nous font un promenoir, tapissé d’herbe comme une prairie. Sur les terrasses voisines, où l’herbe pousse de même, les hommes sont prosternés à cette heure pour la première prière de la journée ; avec leurs longues robes serrées à la taille, leurs mancherons qui flottent et leurs bonnets comme des tiares, ils ont, dans leurs humbles vêtemens, des silhouettes de rois mages. Au delà des vieilles maisons, aux murs épais, aux portes ogivales, on voit les petits lointains de la plaine tranquille et fermée, l’étendue des blés verts, où quelques champs de pavots en fleurs tracent des marbrures blanches, — et toujours, cette chaîne des montagnes de l’Iran qui semble, à mesure que nous montons, grandir, pousser vers le ciel, dresser chaque fois devant nous une assise nouvelle.

Des caravanes arrivent, qui ont cheminé toute la nuit, descendant de Chiraz ou remontant comme nous de Bender-Bouchir ; des sonnailles de mules, de différens côtés, se mêlent à l’aubade des oiseaux. Les bergers mènent vers la montagne des