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nous défileront des coups de ces murailles. La colonne marche avec prudence, car on n’est pas sûr que tout à l’heure, du haut des maisons qui bordent le chemin, ne s’abattra pas sur nous une grêle de balles. Une bonne partie du terrain traversé, d’ailleurs, ressemble plutôt à la brousse qu’à une ville ; de temps en temps, un groupe d’habitations, au milieu des herbes, nous rappelle seul que nous ne sommes pas en rase campagne ; aucune trace des détachemens qui nous ont précédés. La petite troupe s’avance ainsi, silencieuse, toujours dans cette même rue qui paraît sans fin. Défense de fumer et de parler ; les hommes reçoivent l’ordre de maintenir de leur main gauche leur baïonnette et leur quart, pour éviter tout cliquetis. Enfin la voie s’élargit : nous venons d’entrer dans l’une des grandes rues de la ville. Cette dernière semble déserte : tout y est morne et lugubre : un silence de mort pèse sur tout ce quartier : les maisons ont leurs portes et fenêtres closes ; on passe, sans chercher à savoir si elles sont occupées ou non ; ce qu’il faut, c’est arriver le plus vite possible aux Légations. Il est minuit environ ; la colonne est arrêtée ; elle serre sur un détachement japonais, laissé à la garde de voitures appartenant, sans doute, aux deux bataillons de ce contingent qui, d’après les renseignemens recueillis, nous ont précédés d’une heure ou deux, à peine. Ces voitures n’avaient pu pousser plus loin, en raison des travaux de défense qui encombraient le chemin près de la porte Ha-Ta-Men, voisine des Légations. En effet, Ha-Ta-Men est là ; elle nous permettra de passer de la ville chinoise dans la ville tartare et de pénétrer sur le terrain de ces Légations. MM. de Grancey et d’Anthouard vont reconnaître les abords : ils rendent compte que la porte est fermée ; que le plus grand désordre règne aux alentours, provoqué notamment par de nombreux groupes de Chinois fuyant dans tous les sens. Il est inutile, et il n’y a aucune urgence à chercher à franchir cette porte à cette heure, où des méprises sont à craindre.

« Des dispositions sont prescrites pour attendre le jour en ce point. La rue est assez large ; des sections d’infanterie sont déployées de manière à leur permettre de tirer, le cas échéant, sur les toits des maisons qui la bordent, ainsi qu’en avant et en arrière ; les deux pièces de la section d’artillerie (lieutenant Lefèvre) sont mises en batterie dans une position où elles puissent répondre à toute attaque imprévue qui viendrait d’une direction