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exprimer ce caractère subjectif, instantané, de l’émotion religieuse et il répète à satiété la parole du Christ : « Le royaume de Dieu est intérieurement en vous-même (inwendig in euch). » Il ajoute enfin que la religion, sorte de pont jeté entre l’homme et le Dieu-nature, est « ce que l’homme donne de sa propre essence au monde extérieur, » en opposition avec la science, qui serait « ce que le monde dévoile à l’homme de son être intime. » Nous essaierons d’éclaircir ces définitions un peu brumeuses par l’unique exemple qui nous soit fourni d’une religion véritablement digne de ce nom : à savoir le futur christianisme germanique. Mais nous pouvons dès à présent prévoir que la religion ainsi conçue prendra facilement la forme d’une sorte de révélation intérieure, d’une illumination de la grâce : ce sera quelque chose comme l’aventure de Saul sur le chemin de Damas ou comme les conversions, soudaines et « catholiques, » du XVIIe siècle, si fort admirées par Schopenhauer.

En attendant de voir sa prédication porter des fruits si consolans, M. Chamberlain s’efforce sans relâche d’inculquer à ses frères de race la conviction qu’une telle religion est indispensable au Germain ; qu’il ne la possède pas encore, sinon dans d’incomplètes et plutôt fallacieuses ébauches ; et qu’il est menacé de périr, s’il ne tire pas au plutôt de ces esquisses avortées un éclatant chef-d’œuvre. Ce sont les pages les plus émouvantes des Assises du XIXe siècle que ces cris de passion qui en traversent sans cesse le murmure d’exposition didactique. L’auteur a des accens d’une pénétrante éloquence pour réclamer ce couronnement du passé et ce palladium d’avenir en faveur du Germanisme. Tel, jadis, Carlyle, son compatriote, se déchaînait contre l’athéisme dévastateur et en préparait l’antidote dans son culte des Héros ! Mais, au lendemain des anathèmes de son Past and Present, l’un des créateurs du matérialisme historique, Frédéric Engels, lui signifiait déjà que toute voie est désormais close vers des paradis peuplés de saints nouveaux, Feuerbach ayant scellé dans sa tombe la philosophie allemande classique, à l’aurore de laquelle Carlyle s’attardait à chercher ses inspirations vieillies. L’heure présente répondra-t-elle dans les mêmes termes à M. Chamberlain, qui retourne, lui aussi, aux sources épuisées du kantisme, et nous offre, au total, la fleur suprême de l’arbre métaphysique grandi depuis deux siècles au delà du Rhin ? Il faudrait pourtant posséder un cœur de pierre pour résister aux