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de Jésus. Enfin, le chapitre des Assises, qui est consacré à la religion en général, et renferme une critique passionnée des dogmes romains, se termine par une anecdote inattendue. « J’ai, pour mon bonheur, écrit notre philosophe, beaucoup de bons et fidèles amis dans le clergé catholique et, jusqu’ici, je n’en ai perdu aucun. Je me souviens qu’un Dominicain très distingué, qui discutait volontiers avec moi et à qui je dois beaucoup de lumières sur les questions théologiques, poussa un jour en ma présence ce cri de désespoir : « Mais vous êtes un homme terrible. Saint Thomas d’Aquin lui-même ne viendrait pas à bout de vous. » Et, cependant, le très respectable prêtre ne me retira pas sa bienveillance, ni moi, ma vénération. Ce qui nous unissait n’était-il pas bien plus grand et plus puissant que ce qui pouvait nous séparer ? Chacun de nous était si persuadé des pernicieuses erreurs de son interlocuteur que, transporté dans l’arène du monde, il n’aurait pas hésité à l’attaquer sans ménagemens. Mais, dans le silence du cloître, où j’avais coutume de visiter le Père, nous nous sentions portés vers cet état d’âme que saint Augustin a si admirablement décrit ; nous goûtions l’une de ces minutes précieuses où il semble que tout autour de nous fasse silence, jusqu’à la voix des anges, tandis qu’un Seul porte la parole. En ces dispositions du moins nous nous sentions unis, et tous deux, avec une égale conviction, nous confessions : « Le ciel et la terre passeront, mais Ses paroles ne passeront point ! »

Le Père Dominicain était sans doute un bon psychologue, et son interlocuteur, comme plus d’un parmi les fervens de Bayreuth, ne serait-il pas de ceux que touchera quelque jour la grâce de la conversion ?


IV

Ce sont toutefois d’ordinaire des convertis peu maniables que ceux-là et nous en avons en France un exemple éminent avec l’auteur, mystique, wagnérien et schopenhauerien, lui aussi, de En route. De plus, M. Chamberlain, qui trahit d’ailleurs un tout autre caractère, n’a pas été conduit aussi loin jusqu’ici par son évolution intellectuelle. Il lui suffit à l’heure présente de nous guider vers le sanctuaire toujours voilé de la religion de l’avenir.

Et d’abord, le prophète de cette religion étant un savant de profession, la base en sera toute mécaniste et positiviste, d’intentions