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Mme Sarah Bernhardt pour les splendides mises en scène, ne pouvait manquer ici de faire merveille. Les tableaux éclatans, variés, séduisans se succèdent à l’envi. C’est d’abord la campagne où Zoraya, la sorcière, vient chercher les simples dont elle compose ses breuvages, puis la maison de Zoraya dans le vieux goût musulman, puis une noce espagnole, puis le tribunal de l’Inquisition, enfin le bûcher dressé devant le porche de l’église. Mais pourquoi n’a-t-on pas fait flamber ce bûcher ? Qu’est-ce qu’un bûcher qui ne flambe pas ? Nous en avons tous éprouvé une déception.

Ensuite M. Sardou est incomparable pour tenir l’attention en éveil, renouveler sans cesse l’intérêt de curiosité et frapper soudain de grands coups. Dès le premier acte, nous avons vu le noble Espagnol Don Enrique s’éprendre de la musulmane Zoraya. Ils sont tous deux jeunes, beaux ; ils s’aiment, et nous les aimons Mais les lois les plus sévères défendant l’union d’un chrétien avec une musulmane, il faut avouer que Don Enrique s’est engagé dans une liaison toute pleine de périls. Nous retrouvons au second acte nos deux jeunes gens en train de filer le parfait amour. Cependant, à la tristesse de Don Enrique, à certaines paroles vagues qui lui échappent, nous devinons qu’un danger plane sur les amoureux. Les cloches de la ville sonnent à toute volée. Nous apprenons en fin d’acte qu’elles sonnent pour le mariage de Don Enrique : le traître épouse la fille du gouverneur de Tolède, Dona Juana. Voilà un coup de théâtre. En voici un autre à l’acte suivant. Zoraya s’est introduite au palais où se célèbrent les noces. Elle s’est présentée à son infidèle comme une statue du remords. Une explication a eu lieu, d’où il résulte que le mariage de Don Enrique avec Dona Juana n’altère. en rien les sentimens du jeune homme pour sa maîtresse. Celle-ci a endormi d’un sommeil hypnotique la jeune épousée : elle va se sauver avec Don Enrique ; mais le Saint-Office a été prévenu : l’alarme a été donnée : les issues du palais sont gardées. Le fait est qu’à l’acte suivant nous apprenons que les deux fugitifs ont été rattrapés et qu’on instruit leur procès. L’interrogatoire de Zoraya devant le tribunal de l’Inquisition est le morceau principal, le passage le plus pathétique de la pièce, celui où l’angoisse est portée à son comble. Car pour sauver Don Enrique, Zoraya accepte de déclarer qu’elle a surpris son amour par des philtres, et qu’elle est sorcière, ce qui est de tous points inexact. Le dernier acte se passe dans un décor magnifique et terrible avec grand déploiement de peuple et de moines en cagoules. La logique veut que Don Enrique et Zoraya soient unis dans la mort, et telle est la conclusion que M. Sardou a donnée à son drame.