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est bien son frère. Les nuées d’où Fervaal descendait s’étaient formées dans la montagne ; celles à qui l’Étranger doit le jour, — un jour pâle et voilé, — viennent de l’Océan. Le brouillard s’étend sur notre pays de France. Des Cévennes, où se passait le premier drame, il a gagné le pays basque, où le second se déroule. Et cela d’ailleurs ne fait qu’une différence de latitude entre deux poèmes également vagues, obscurs et nébuleux également.

A Biarritz, de nos jours, — et cette détermination de temps et de lieu messied en un sujet surnaturel, — parmi les pêcheurs de la côte, vit un pécheur mystérieux. Le hasard, ou le ciel, ou peut-être l’enfer protège l’inconnu. Seul, chaque matin, il ramène au rivage sa barque chargée de poissons. Il a même de plus rares privilèges. A son bonnet luit une émeraude magique, dont on a vu parfois les feux apaiser la tempête et sauver les marins en danger. La bonté de cet homme égale sa puissance : il donne aux pauvres et partage sa pêche avec eux, à moins qu’il ne la leur abandonne tout entière. Mais pour lui sa puissance et sa bonté n’ont porté que des fruits amers. On l’envie, on l’accuse ; sous ses bienfaits on ne soupçonne que des maléfices ; l’apôtre est traité de sorcier par le peuple et la haine de chacun répond à son amour pour tous.

Un seul être, une jeune fille, Vita, va l’aimer. Elle l’aime déjà. Elle l’aime pour le bien qu’il fait et le mal qu’on lui rend, pour sa charité, pour sa douceur, pour le charme sérieux de sa parole, pour le mystère enfin qu’il porte en lui et qu’elle devine profond, sacré, peut-être divin. Elle l’aime, oublieuse de tout ce qui n’est pas lui, de tout et de tous, y compris André, le beau douanier, son fiancé d’hier. Et voici que l’Étranger, qui n’aime pas moins Vita qu’il n’est chéri par elle, qui l’aimait avant de la connaître, qui sur terre et sur mer n’a cherché qu’elle seule, sa sœur prédestinée, l’âme éternellement promise à son âme, l’Étranger la repousse et veut la fuir. Les raisons qu’il donne de ses refus sont diverses. La plus forte, — si nous avons bien compris ces choses subtiles, — n’est autre que son amour même. L’Étranger se reproche et se punit, quitte à frapper avec lui la jeune fille, d’avoir aimé d’un amour égoïste, d’avoir détourné sur un être particulier et pour son propre bonheur, une tendresse générale et désintéressée, dont la félicité des autres devait être seule et l’objet et la récompense.

Il s’éloigne donc, laissant à Vita l’émeraude, la rayonnante ouvrière de grâce et de salut. Mais la jeune fille, enflammée de dépit, jette le talisman dans les flots. Alors, par un retour funeste, la pierre