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son identité m’est d’ailleurs confirmée par la désignation du tcharvadar : « Ateuchka ! » — où je retrouve le mot turc ateuch qui signifie le feu. Deux lourdes et naïves pyramides tronquées, que couronne une dentelure barbare ; deux autels jumeaux pour le culte du feu, qui datent des premiers Mages, qui ont précédé de plusieurs siècles tout le colossal travail de Persépolis et de la montagne sculptée ; ils étaient déjà des choses très antiques et vénérables quand les Achéménides firent choix de ce lieu pour y bâtir leurs palais, leur ville et leurs tombeaux ; ils se dressaient là dans les temps obscurs où les roches aux hypogées étaient encore intactes et vierges, et où de tranquilles plaines s’étendaient à la place de tant d’immenses esplanades de pierre ; ils ont vu croître et passer des civilisations magnifiques, et ils demeurent toujours à peu près les mêmes, sur leur socle, les deux Ateuchkas, inusables et quasi éternels dans leur solide rudesse. Aujourd’hui les adorateurs du feu, comme on le sait, disparaissent de plus en plus de leur pays d’origine, et même du monde ; ceux qui restent sont disséminés, un peu comme le peuple d’Israël ; à Yezd, cependant, ville de désert que je laisserai sur la droite de ma route, ils persistent en groupe assez compact encore ; on en trouve quelques-uns en Arabie, d’autres à Téhéran ; et enfin, ils forment une colonie importante et riche à Bombay, où ils ont installé leurs grandes tours macabres. Mais, de tous les points de la Terre où leur destinée les a conduits, ils ne cessent de revenir ici même, en pèlerinage, devant ces deux pyramides effroyablement vieilles, qui sont leurs autels les plus sacrés.

A mesure que nous nous éloignons, les trous noirs des hypogées semblent nous poursuivre comme des regards de mort. Les rois qui avaient imaginé de placer si haut leur sépulture, voulaient sans doute que leur fantôme, du seuil de la porte sombre, pût promener encore sur le pays des yeux dominateurs, continuer d’inspirer la crainte aux vivans.

Pour nous en aller, nous suivons d’abord une mince rivière qui court sur des cailloux, encaissée et profonde, entre des roseaux et des saules ; c’est une traînée de verdure à demi enfouie dans un repli du terrain, au milieu d’une si funèbre région de pierres. Et bientôt, perdant de vue tout cet ossuaire des antiques magnificences, perdant de vue aussi l’ombreuse petite vallée, nous retrouvons l’habituelle et monotone solitude : la