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que les Arméniens de Djoulfa sur l’accueil que l’on nous réserve. Essayons dans les caravansérails d’abord, et, si l’on nous refuse, nous verrons ensuite chez les habitans !...

Sans transition, nous voici au milieu de la foule, dans la pénombre et la fraîcheur ; nous venons d’entrer sous les grandes nefs voûtées des bazars. La ville n’est donc pas morte dans tous ses quartiers, puisqu’on peut y rencontrer encore un grouillement pareil. Mais il fait presque noir, et toute cette agitation de marchands en burnous, de dames-fantômes, de cavaliers, de caravanes, qui se révèle ainsi d’un seul coup, après tant de ruines et de silence, au premier abord paraît à moitié fantastique.

C’est un monde, ces bazars d’Ispahan, qui furent à leur époque les plus riches marchés de l’Asie. Leurs nefs de briques, leurs séries de hautes coupoles, se prolongent à l’infini, se croisent en des carrefours réguliers, ornés de fontaines, et, dans leur délabrement, restent grandioses. Des trous, des cloaques, des pavés pointus où l’on glisse ; péniblement nous avançons, bousculés par les gens, par les bêtes, et sans cesse préoccupés de nos mules de charge, qui se laissent distancer dans la mêlée étrange

Les caravansérails s’ouvrent le long de ces avenues obscures, et y jettent chacun son flot de lumière. Ils ont tous leur cour à ciel libre, où les voyageurs fument le kalyan à l’ombre de quelque vieux platane, auprès d’une fontaine jaillissante, parmi des buissons de roses roses et d’églantines blanches ; sur ces jardins intérieurs, deux ou trois étages de petites chambres pareilles prennent jour par des ogives d’émail bleu.

Nous nous présentons à la porte de trois, quatre, cinq caravansérails, où la réponse invariable nous est faite, que tout est plein.

En voici un cependant où il n’y a visiblement personne ; mais quel bouge sombre et sinistre, au fond d’un quartier abandonné qui s’écroule ! — Tant pis ! Il est midi passé, nous mourons de faim, nous n’en pouvons plus, entrons là. — D’ailleurs, nos mules et nos muletiers de Djoulfa, refusant d’aller plus loin, jettent tout sur le pavé, devant la porte, dans la rue déserte et de mauvaise mine où il fait presque nuit sous l’épaisseur des voûtes. — « Tout est plein, » nous répond l’hôte avec un mielleux sourire... Alors, que faire ?...

Un vieil homme à figure futée, qui depuis un instant nous