Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appels à M. de La Luzerne, évêque de Langres, et à M, Asseline, évêque de Boulogne, pour qu’ils l’aidassent à vaincre, chez Stolberg, les dernières résistances de la pensée. La réponse aux « seize doutes » de Stolberg remplit tout un volume des œuvres d’Asseline : soit qu’elle fût décisive, soit qu’une surabondance de la « foi du cœur » la rendît superflue, Stolberg écrivait à Mme de Montagu, le 16 mai 1800 : « Dieu m’a fait miséricorde, à moi et à Sophie, et il fera miséricorde à mes enfans. Il a regardé avec une complaisance indulgente le désir de connaître la vérité, désir que lui-même avait fait naître. » Au jour de la Pentecôte, Stolberg s’agenouillait devant Overberg, dans la chapelle de la princesse Galitzin, et récitait avec sa femme le Credo de l’Eglise romaine.

L’émoi produit fut immense. Gœthe marqua beaucoup d’âpreté, mais point de surprise ; il avait, peu de temps auparavant, qualifié d’abominable et de monstrueuse, parce que trop imprégnée de christianisme, la préface qu’avait mise Stolberg en tête de sa traduction de Platon : transfuge du paganisme, le comte de Stolberg était peut-être logique en se faisant catholique ; Gœthe ne s’étonnait point. Le philosophe Jacobi fut moins résigné, et mit deux ans à se consoler : qu’un personnage sur qui l’Allemagne pensante avait les yeux s’encombrât désormais d’un rosaire et d’un cierge, il y avait là de quoi « faire ricaner l’enfer ; » et Jacobi, même, dans des lettres publiques, mit en doute la loyauté de cette conversion ; puis il finit par se calmer et par publier une explication qui équivalait à une moitié d’excuse. Il y eut des colères plus tenaces ; dix-huit ans s’étaient écoulés lorsque le poète Voss fit imprimer une brochure sous le titre : Comment Stolberg devint un servile. Voss se donnait l’air de poursuivre, en ce pamphlet, la vengeance de la Réforme ; mais il voulait venger, bien plutôt, le paganisme et le rationalisme, offusqués l’un et l’autre par le comte de Stolberg.

En venant à l’Eglise romaine, l’illustre néophyte avait témoigné qu’il prenait le christianisme au sérieux : c’est ce que Voss, et plus tard Henri Heine, ne lui pouvaient pardonner ; et c’est ce qui valut à Stolberg, inversement, l’indulgence de Klopstock et de Herder, dont la religiosité naturelle amnistiait cette fantaisie d’une âme religieuse ; c’est ce qui lui assura, surtout, la demi-approbation de certains protestans mystiques, comme Matthias Claudius ou comme Lavater. La théologie rationaliste