Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des églises d’État avait anémié l’idée chrétienne au sein de la Réforme : ces mystiques souffraient. Le nouveau fidèle de Rome était peut-être un paradoxal, mais il n’était un paradoxal que parce que, comme eux, il avait souffert, et parce que sa foi chrétienne s’était sentie lésée. « Deviens l’honneur de l’Eglise catholique, lui écrivait Lavater. Je vénère l’Église catholique comme un antique et majestueux édifice, qui conserve de vieux documens aimés. La chute de cet édifice serait la chute de tout christianisme ecclésiastique. » On eût dit que Lavater, découragé par l’impossibilité d’asseoir sur les maximes de la Réforme un « christianisme ecclésiastique, » savait gré à Stolberg d’avoir rendu quelque prestige à une confession religieuse susceptible encore d’encadrer les âmes chrétiennes.

Stolberg, au lendemain de sa conversion, offrait l’exemple, unique dans l’Allemagne d’alors, d’une intelligence armée de toutes les ressources de la culture hellénique, et prête à dépenser ces ressources au service de la pensée catholique. Ayant du grec une connaissance que Gœthe et Schiller lui pouvaient envier, et plus digne dès lors que l’un et que l’autre de prier Pallas Athéné, puisqu’il l’eût pu prier dans sa propre langue, il désertait la radieuse Acropole et s’orientait vers le Calvaire. Platon, en des pages mystérieuses, s’était fait le prophète du Juste souffrant ; Stolberg, son traducteur, allait s’en faire l’apôtre. Il écrivit les quinze premiers volumes d’une Histoire de la Religion de Jésus-Christ, dans laquelle il mettait le monde antique au pied de la croix.


II

Dans la lutte entre les dieux de la Grèce et l’idée chrétienne, — lutte à laquelle assistaient, en témoins à peu près indifférens, les églises officielles de la Réforme, — un second épisode se préparait, dont Frédéric Schlegel allait être le héros. Il développait avec une enthousiaste sécurité ses théories sur la littérature grecque, lorsque surgit à la façon d’un météore, sur l’horizon qui d’ailleurs demeurait nébuleux, le Système de la Science, de Fichte ; et ce livre força Schlegel de s’amender. Car s’il était vrai, comme l’affirmait Fichte, que le monde extérieur, le Non-moi, n’est qu’une création de la liberté du Moi, il devenait assez étrange de réclamer de l’artiste, qui imagine des