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un Infini qui multiplie les manèges et nous dirions presque les niches, qui s’avance et puis qui s’évade, qui laisse croire qu’il est tout et qui s’amuse à jouer au Néant.

Mais, à vrai dire, était-ce bien l’Infini ? Les romantiques croyaient le chercher, tout au moins le concevoir ; ils ne concevaient que l’indéfini, ils ne trouvaient que l’inachevé. Métaphysiquement parlant, il n’y avait pour eux que deux attitudes : ou bien admettre, finalement, une démarche de l’Infini à l’endroit de leurs âmes, c’est-à-dire la révélation chrétienne, et saluer, dans leur course vers l’inconnu, cette messagère accourue au-devant d’eux, et qui ne demandait qu’à leur être familière ; ou bien passer outre, continuer à courir, et s’enlizer dans le nihilisme. Et de même, moralement parlant, il n’y avait pour eux que deux attitudes : ou bien ériger en souverain le Moi individuel, dont Fichte faisait le créateur du Non-moi, c’est-à-dire la seule réalité ; ou bien accepter, pour ce Moi qu’exaltait leur emphase, un guide et un juge qui lui fût supérieur, et ce serait l’Eglise romaine. Car, en dépit des admirables efforts de Schleiermacher pour créer avec la poussière rationaliste un protestantisme nouveau, c’était sous sa forme catholique que le christianisme, en cette époque de transition, semblait encore digne de quelque maîtrise et susceptible de quelque prestige.

Henri de Kleist et Zacharias Werner symbolisent à souhait, par leurs deux carrières, cette sorte d’oscillation du romantisme entre l’Église romaine et le néant. Ils étaient, tous deux, protestans d’origine.

Kleist eut toujours une tendresse pour l’esthétique catholique : à la chapelle de la Cour, à Dresde, il avait admiré les pompes du culte. « Notre service divin est nul, écrivait-il, il ne parle qu’à la froide raison ; une fête catholique parle à tous les sens. » Il allait même, dans sa Penthésilée, jusqu’à s’abandonner à la contemplation du mystère eucharistique. Mais il demeura pour l’Église un spectateur du dehors : les émotions qu’il y trouvait ou qu’il y pressentait ne faisaient qu’exciter encore, sans le satisfaire, son rêve maladif de jouissances qui ne conservaient à ses yeux tout leur prix que si elles se refusaient à lui. Il en vint à se tuer avec sa maîtresse. « Nous rêvons à des prairies célestes, à des soleils à la lueur desquels, avec de longues ailes à nos épaules, nous nous promènerons : » voilà l’adieu de Kleist à la vie. Sa maîtresse de faire écho : « Souvenez-vous, écrit-elle, des