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de Novalis ; les Épisodes de la vie d’un fainéant, d’Eichendorff, sont des imitations de Wilhelm Meister, dans lesquelles le « fantaisisme » déborde ; et les romantiques copiaient le héros de Goethe, non seulement dans leur littérature, mais dans leur propre vie.

De là leur curiosité morbide, parfois essoufflée, le plus souvent languissante, mais inquiète toujours ; de là leur mélancolie, d’autant plus prolixe en ses plaintes qu’elle s’essaie plus vainement à verser de vraies larmes ; de là, enfin, l’aspect spécial qu’affectait en eux le sentiment de la perfectibilité indéfinie, héritage du XVIIIe siècle. Ce sentiment ne mettait point en branle leurs énergies, mais seulement leurs rêveries ; il ne devenait point, pour eux, un maître d’optimisme, mais une source de déceptions. Un perpétuel mirage de l’antique âge d’or flottait à l’ombre de leurs cils, et il leur plaisait que ce ne fût qu’un mirage ; ils aimaient mieux avoir à désirer que d’être admis à posséder ; ils se complaisaient à aspirer, et semblaient détester de respirer. Voguer sans but, voguer encore et toujours, vers quelque chose d’encore et toujours vague c’était là leur rêve, c’était là leur vie. Ils ne songeaient qu’au bonheur et ne cessaient de jouer à cache-cache avec lui ; et la Fortune ne pouvait leur faire plus de plaisir qu’en se comportant à leur endroit comme une de ces coquettes qui lutinent sans trêve et qui ne cèdent jamais. « Telle est la destinée de l’homme, lit-on dans Sternbald : si l’objet dont il se réjouit s’approche de lui et lui saisit la main, il lui arrive souvent de s’effondrer comme s’il prenait la main de la mort. » Ainsi raisonnaient les romantiques : ils mettaient leur contentement à être de perpétuels mécontens.

Sternbald, le héros de Tieck, oriente toute son existence, comme vers une « lune, « vers une fillette inconnue qui certain jour lui demanda des fleurs et qui disparut brusquement, tandis que résonnait un mystérieux cor de chasse ; et, tout le long du livre, les résonances de l’invisible cor de chasse scanderont les vagabondes rencontres du rêveur avec la fillette inconnue. Et c’est étrange à dessein, bizarre avec méthode, et systématiquement mythique : cela se passe entre ciel et terre. Et il faut que le rêveur soit toujours inassouvi, qu’il aille d’insuccès en insuccès ; car l’infini ne saurait se fixer : l’Infini, pourchassé par la rêverie romantique qui serait désolée de l’attraper, vagabonde par devant elle, toujours plus loin qu’elle et toujours plus vite qu’elle ; c’est