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du passé que les écrivains de notre XVIIIe siècle classique : il avait, dans les Affinités électives, introduit un décor gothique ; la cathédrale de Strasbourg lui avait inspiré une belle page ; la féodalité lui avait paru digne d’un beau drame. Trop aristocrate, cependant, pour apprécier tout ce qui s’épanouit de l’âme populaire dans les œuvres poétiques ou architecturales du moyen âge et pour aimer ce que cet art et cette littérature eurent, si l’on ose dire, de démocratique, il laissait beaucoup à faire au romantisme. Arnim, Brentano, Gœrres, révélèrent au XIXe siècle naissant l’Allemagne littéraire d’antan ; les frères Boisserée, de leur côté, révélèrent l’Allemagne artistique.

D’Heidelberg, en 1804, le mythologue Creuzer écrivait à Clément Brentano : « Si maintenant, dans mes solitaires promenades au milieu des grandioses ruines du château, je sens la petitesse de notre moderne Allemagne, j’ai l’impression très vive que cette ville est le site propice pour des hommes qui portent dans leur cœur la grande Allemagne de jadis, qui peuvent concevoir en sa profondeur la vieille poésie romantique et la faire revivre d’une façon digne d’elle. » Creuzer ne parla pas en vain : la ville devint, trois ans durant, l’élue du romantisme, et ces rapides années furent fécondes. C’est à Heidelberg qu’Arnim et Brentano achevèrent, en 1805, la composition d’un livre révélateur, qui porte un titre bien romantique : l’Enfant au cor enchanté. Les poésies populaires où l’Allemagne du moyen âge avait tout à la fois épanché son imagination et affiné sa conscience étaient soigneusement recueillies par les deux chercheurs, poètes eux-mêmes ; et c’était, grâce à eux, une Allemagne morte qui recommençait de parler. Sortie d’un silence séculaire, cette morte ne se lassait plus d’être éloquente : elle parlait par les lèvres de Gœrres, du haut de la chaire universitaire d’Heidelberg ; elle parlait par sa plume, dans l’écrit qu’en 1806 il intitulait : les Livres populaires allemands. Elle continuait de s’épancher, en 1808, dans le journal l’Einsiedlerzertung, que publiaient, à Heidelberg encore, Arnim et Brentano.

Arnim était protestant ; Gœrres et Brentano, catholiques d’origine, étaient à cette date éloignés de l’Eglise, le premier par les synthèses philosophiques où se complaisait sa pensée, le second par l’Indolence de son vouloir et le laisser aller de ses mœurs. Mais, comme si c’était retrouver le catholicisme que de retrouver la vieille Allemagne, Voss les pourchassa de ses polémiques