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et les força de quitter le terrain : ils furent accusés de jésuitisme ; c’étaient « des natures de singes, habituées de Lorette ; » qu’avaient-ils à faire à Heidelberg ? « C’est une peine inutile, écrivait tristement Gœrres, de planter des fleurs avant que vienne le printemps : le rigoureux hiver possède aussi sur les esprits une sorte de droit ! » Le bruit que faisait Voss n’était point stérile : Schelling, alors plus éloigné du catholicisme qu’il ne le devait être en sa vieillesse, prenait parti contre ces jeunes médiévistes ; Gœthe, qui d’abord les avait encouragés dans un retentissant compte rendu, s’attiédissait à vue d’œil. Et, si peu catholique que fût Arnim, si peu dévots que fussent alors Gœrres et Brentano, l’âme germanique était invitée à rentrer dans sa tombe, de peur que l’Eglise, cette autre morte, ne ressuscitât avec elle.

Mais, à ce moment même, dans leur commun sépulcre, une autre brèche s’ouvrait. Deux collectionneurs, les frères Boisserée, encouragés et parfois accompagnés par Frédéric Schlegel, avaient commencé, en 1803, à parcourir la France, la Belgique, l’Allemagne, pour rechercher, dans les boutiques de bric-à-brac, dans les cloîtres où il n’y avait plus de moines, dans les églises où Dieu n’était plus, de vieilles peintures, de vieilles statues, de vieux émaux. Ils glanaient, à travers tant de ruines, les trésors dont l’art germanique avait jadis fait hommage au catholicisme. Cologne devint leur centre : ils exhumèrent le fameux tableau dont aujourd’hui s’enorgueillit la cathédrale, le Dombild, et le firent installer, dès 1810, dans une chapelle de l’édifice inachevé, comme un gage d’avenir. Ils ne travaillaient point pour une gloriole d’amateurs, mais pour la gloire de Dieu et de l’Allemagne. Sulpice Boisserée, en 1810, risqua le voyage d’Heidelberg avec sa collection. Voss avait imposé silence aux antiques chansons : mais, lorsque les antiques madones se présentèrent, on leur fit fête. Cela pourtant ne suffisait pas à Sulpice : il briguait pour elles une génuflexion de l’Olympien qui, dans sa tour d’ivoire de Weimar, régentait le goût public. Gœthe se fit longtemps prier, puis accepta d’accueillir Boisserée ; il ne parla d’abord que par monosyllabes, se fit ensuite complaisant, introduisit à la Cour ce pèlerin de l’art religieux ; et une correspondance s’engagea, plusieurs années durant, entre Gœthe et les Boisserée. Ils firent ensemble, en 1815, un voyage sur le Rhin : Gœthe en rendit compte, dans un article où il traitait le christianisme avec assez d’irrévérence. Les bonnes Vierges qui parlaient au cœur des