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C’est pourquoi, dans le Dédale, avec autant de soin qu’il a fermé l’une après l’autre toutes les issues par où son héroïne eût pu se dérober à son destin, l’une après l’autre aussi, M. Paul Hervieu lui a comme enlevé toutes les excuses qu’elle eût pu invoquer. M. de Pogis n’a rien pour lui que d’avoir été le premier mari de sa femme. La mère de Marianne lui a remontré ce qu’il y avait encore d’amour ou de passion dans les accens de haine que lui arrache le souvenir d’une union, à vrai dire, non moins regrettée qu’abhorrée. Le second mari, avec toutes les qualités que l’autre n’avait pas, n’a aucun des défauts dont Mme de Pogis a souffert. Paulette, son amie — dans une admirable scène, où les répliques se croisent, se répondent, et se pressent comme dans un dialogue de Corneille — lui a dénoncé le danger qu’elle courait, ou pour mieux dire, et sans le savoir, sans se douter de ce qu’elle faisait, elle l’a obligée d’en reconnaître l’imminence. Et rien de tout cela ne l’empêche, non plus que les femmes de Racine, de courir où son destin l’appelle ! mais cela fait qu’elle ne se paie d’aucune vaine raison pour étouffer en elle ses remords, ou pour éviter les conséquences de son acte ; cela fait qu’elle en accepte ou qu’elle en prend la responsabilité tout entière ; et encore une fois cela fait d’elle un personnage « tragique. »

Ajoutons, pour finir, une dernière condition. Pourquoi telles pièces de Dumas ou d’Augier, qui se terminent elles aussi dans le sang, le Mariage d’Olympe ou l’Etrangère, ne sont-elles pourtant que des mélodrames ? C’est qu’après tout le sujet n’en est qu’une anecdote, ou, si l’on le veut, et en d’autres termes, la signification n’en dépasse pas la donnée. Beaumarchais écrivait, dans son Essai sur le drame sérieux : « Que me font à moi, sujet paisible d’un État monarchique du XVIIIe siècle, les révolutions de la Grèce et de Rome ? quel véritable intérêt puis-je prendre à la mort d’un tyran du Péloponnèse ? au sacrifice d’une jeune princesse en Aulide ? Il n’y a dans tout cela rien à voir pour moi, aucune moralité qui me convienne. » On pourrait dire pareillement : « Que nous importe à nous que le noble sang des Puygiron se mêle à celui d’Olympe Taverny ? ou qu’un brasseur d’affaires accoure du fond du Dakota pour rendre à Mlle Mauriceau la liberté d’épouser l’ingénieur Gérard ? » Ce ne sont là que des faits divers, de l’espèce la plus commune et toutefois de nulle portée.

Mais, au contraire, comme dans le Dédale, — et je dirai.