Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme dans le Passé de M. de Porto-Riche, — la question de savoir ce qu’un premier amour a noué de liens indestructibles entre deux êtres humains, ou encore ce que la maternité crée de nouveaux devoirs à une femme envers le père de son enfant, et dans quelle mesure cette maternité même lui enlève le droit de disposer désormais de sa personne, voilà qui nous importe à tous, et, la réponse variant selon les circonstances et selon les personnes, voilà qui ne cessera jamais de nous intéresser. Seulement, et tandis que l’auteur du Passé, pour des raisons d’art que l’on pourrait donner, avait fait tout ce qu’il fallait pour « particulariser » sa thèse, la déguiser ou la dissimuler, l’auteur du Dédale a cru devoir, lui, dans son troisième acte, notamment, nous la proposer selon toute son ampleur, et c’est ce qui fait l’originalité de sa pièce. La thèse est devenue sienne, et elle est tragique pour l’audace tranquille avec laquelle il en a lui-même souligné la signification. Et, en effet, dans le théâtre ancien ou moderne, dans le théâtre de Shakspeare comme dans celui de Corneille ou de Racine, quelle est la tragédie, vraiment digne de ce nom, qui ne pose pas un de ces problèmes que l’on croyait depuis longtemps résolus ? et, tout à coup, voici qu’on s’aperçoit que la solution généralement adoptée n’en avait pas prévu tous les cas.

Or, il peut y avoir des vaudevilles sans importance, et des mélodrames sans portée : le Mariage d’Olympe en est un, la Femme de Claude en est un autre. Il n’y a pas de véritable « comédie » sans thèse ; et on ne me citera pas une véritable tragédie qui ne pose la thèse sous la forme d’un cas de conscience. « Que peut-on faire ? Que doit-on faire ? Que faut-il faire ? » C’est ce que se demandent Oreste et Antigone, Hamlet et Chimène, Andromaque et Titus ; et c’est ce que nous nous demandons avec eux. La deuxième de ces questions : « Que doit-on faire ? » est la question tragique par excellence. Elle l’est à ce point que, de toute pièce où elle ne se pose pas, ni le prestige de l’histoire, ni l’horreur de la catastrophe, ni la beauté de la déclamation ne sauraient faire des tragédies. Le Roi s’amuse et Ruy Blas, en dépit d’Hugo, ne seront toujours que des « mélodrames. » En revanche, des pièces bourgeoises, telles que par exemple le Supplice d’une femme, ou la Julie de Feuillet, et généralement le théâtre de l’auteur de Monsieur de Camors, étaient en route vers la tragédie. Étonnerai-je beaucoup de gens, en disant qu’autant