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paraphé. Ce serait demain le départ, et, bien que je n’y croie guère, il faut vite aller au bazar des tapis, acheter pour la route quelques-uns de ces bissacs de Chiraz, en beau tissu de laine coloriée, indispensables à tout voyageur qui se respecte. Dans les longues nefs semi-obscures, où des rayons de soleil, criblés par les trous de la voûte, font chatoyer çà et là quelque tapis de prière aux nuances de colibri, rencontré Hadji-Abbas avec deux ou trois notables ; on s’arrête pour se faire de grandes politesses ; même, comme c’est le dernier jour, on fumera ensemble un kalyan d’adieu, en buvant une minuscule tasse de thé. — Et le lieu choisi pour cette fumerie, près du quartier des ciseleurs d’argent, est l’une de ces très petites places à ciel ouvert qui de loin en loin, au milieu de la ville d’oppression et d’ombre, vous réservent la surprise d’un flot de lumière et d’une fontaine jaillissante au milieu d’orangers en fleurs ou de buissons de roses.


Le vizir de Chiraz, rentré enfin dans sa bonne ville, m’a fait dire ce matin qu’il me recevrait aujourd’hui même, deux heures avant le coucher du soleil, ce qui signifie vers cinq heures du soir. Il habite très loin de chez moi, dans un quartier de dignitaires. Au milieu d’un long mur gris, l’ogive qui sert de première entrée à son palais est gardée par beaucoup de soldats et de domestiques, assis sur des bancs que recouvrent des tapis. D’abord un jardin, avec des allées d’orangers. Au fond, une demeure entièrement revêtue de faïence : grands panneaux à personnages de toutes couleurs, alternant avec des panneaux plus petits qui représentent des buissons de roses. Des gardes, des serviteurs de toute classe, en haut bonnet d’astrakan noir, encombrent la porte de la belle maison d’émail, et une quantité extraordinaire de babouches traînent sur le pavage des vestibules, qui est en carreaux de faïence représentant des bouquets de roses, toujours des roses. Un salon voûté en stalactites de grotte, des divans de brocart rouge, et par terre des tapis fins comme du velours. Quand j’ai pris place à côté de l’aimable vizir, on apporte pour chacun de nous un kalyan comme pour Aladin, tout en or ciselé, et un sorbet à la neige, dans un verre en or qui pose sur une petite table en mosaïque de Chiraz. De nombreux personnages arrivent ensuite, qui saluent sans mot dire et forment cercle, accroupis sur leurs talons. L’étiquette orientale exige que la visite soit un peu longue, et il n’y a pas à