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seize heures durant pour faire quatorze lieues. Elle se composait de deux gentilshommes, dont un « sortait de page, » d’un Polonais, d’un mercier de Lyon, et d’un avocat du roi de Draguignan, soit sept personnes, avec le messager qui la dirigeait et le chanoine parisien à qui nous devons ce récit et qui nous confie une grave incommodité de cette locomotion : la vie commune avec des gens « ramassés un peu partout, lesquels sont d’ordinaires ou plaideurs, ou marchands, ou nobles errans ; de sorte qu’un honnête homme est exposé à l’humeur barbare et rustique des uns ou bien à l’insolence des autres. » Le souper, les lits, étaient chaque soir autant d’occasions d’ennuis, de querelles et de farces singulières. Si les lits manquaient, il fallait coucher avec un de ses compagnons de route ou avec des inconnus.

De jeunes Hollandais venant, avec le messager aussi, de Calais à Paris, sous Colbert, entrent dans les mêmes détails et se plaignent de la saleté des draps donnés par les hôtes, des bourbiers où l’on tombe en chemin et où l’on est « amplement mouillé jusqu’à la chemise. »

De Colbert à la Révolution, les moyens de transport s’étaient améliorés : on ne mettait plus, dans les « turgotines, » que six jours de Paris à Lyon. Ils s’étaient multipliés aussi, et toutes ces entreprises, plus ou moins privilégiées, se contrecarraient et plaidaient beaucoup les unes contre les autres : pataches, carrosses, diligences, cabriolets et fourgons, nous prouvent, par la hausse du prix de leurs redevances au Trésor, à chaque renouvellement de bail, que le trafic des voyageurs dut s’accroître au XVIIIe siècle. Les transports publics, à l’usage des citoyens qui n’étaient pas assez riches pour courir la poste en chaise privée, laissaient à désirer cependant, puisqu’on lit souvent, dans les « Annonces-Affiches » de 1788, des avis de cette sorte : « Une dame très honnête voudrait trouver une place dans une voiture pour aller ces jours-ci, à frais communs, à Poitiers ou à La Rochelle. »

C’était l’époque où Arthur Young pérégrinait à travers le continent en prenant des notes. Il vante la bonne chère et le bon marché de nos hôtelleries, trouve les lits meilleurs que ceux des auberges de son pays ; mais se plaint qu’il n’y ait pas de salle à manger, que les repas soient servis dans des chambres où il y avait trois ou quatre lits, que les fenêtres ne soient pas faciles à ouvrir quand elles sont fermées, ni à fermer quand elles sont ouvertes. « Les meubles, dit-il, sont si mauvais qu’un aubergiste