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anglais en ferait du feu ; » il n’y a ni balais, ni sonnette ; les domestiques sont sales, la cuisine est noire de fumée et les murs des autres pièces blanchis à la chaux, ou couverts de vieilles étoffes qui sont « nids à teignes et à araignées. »

Un autre Anglais, venu à Paris sous Louis XV, nous a laissé le récit de son voyage (1754). Après avoir mis trois jours pour passer le détroit, il débarque à Calais, où quatre soldats et un caporal le conduisent aussitôt chez le gouverneur, qui le fait attendre quelque temps à la cuisine et lui fait dire qu’il est encore couché, qu’il le félicite de son arrivée dans le royaume, et lui souhaite un bon voyage, s’il veut pousser plus loin son excursion. La diligence de Calais à Paris se mettait en route le lundi matin et arrivait dans la capitale le dimanche soir. C’était une immense tapissière, que traînaient, avec une extrême lenteur, huit chevaux attelés deux à deux et conduits par des postillons. Sur l’impériale s’entassait une montagne de bagages. A droite et à gauche, rien ne protégeait les voyageurs contre les intempéries ; les derniers arrivés surtout, obligés de se contenter des places latérales ménagées entre les deux roues, avaient le front à la hauteur des genoux de leurs compagnons et leurs pieds sans appui oscillaient aux cahots du chemin. Pendant toute la seconde journée, le malheureux enfant d’Albion reçoit des flocons de neige en plein visage et le soir, en arrivant à Montreuil, il accepte une invitation à un bal de noces. Mœurs aimables du XVIIIe siècle, où les étrangers sont conviés en soirée à la descente d’une voiture publique ! A son entrée dans la salle, l’Anglais est aussitôt prié de danser.

Les hôtels sont mal installés, mais les repas, — 6 fr. 50 d’aujourd’hui, — ne semblent pas trop chers à notre touriste. Il recommande à ses compatriotes de se munir de couteaux de poche, les couteaux de table étant un luxe inconnu des hôteliers, qui fournissent seulement des cuillers et des fourchettes.

Cinquante ans plus tard, en 1802, une riche famille britannique de cinq personnes, accompagnée de trois domestiques, nous a conservé quelques notes d’auberge. La première fut soldée à Calais chez Dessein, l’honnête traiteur célébré par Sterne dans le Voyage sentimental. Elle montait à 89 livres, dont 15 pour le logement des maîtres, autant pour leur dîner, plus 14 livres pour trois bouteilles de vin fin — Champagne, Côte-Rôtie et Chablis, — et 8 sous pour une bouteille de bière. Quatre