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hauteur de laine des tapis. Pas de commerce où les « fuites » soient aussi nombreuses et aussi faciles ; il faut que chaque matin, levé à six heures, l’hôtelier s’assure de visu que le pain, la volaille, le beurre, sont sincèrement livrés : c’est là son premier bénéfice. Il mesure le lait au densimètre, ouvre au hasard quelques sacs de charbon, et fait retourner devant lui les bachots de glace, à la sortie, pour s’assurer qu’ils sont bien vides.

Il est plus aisé de se défendre contre le coulage et les « chiperies » domestiques que de prévenir les escroqueries du dehors. Dans les auberges de petite qualité se présentent maints filous munis d’une valise vide et d’un carton à chapeau, où il n’y a pas de chapeau. Ils prennent possession de leur chambre à la nuit tombante et s’esquivent, de grand matin, en emportant les draps et les couvertures de leur lit dans la valise et, dans le carton à chapeau, la pendule qui décorait leur cheminée. D’autres se glissent, à l’aurore, dans les maisons imparfaitement surveillées et font, le long des couloirs, une rafle des chaussures qui stationnent aux portes closes des voyageurs endormis. Ces larcins effrontés n’atteignent que les garnis modestes. Quant aux cliens, aux clientes surtout, qui partent sans acquitter leur note, il n’en manque pas dans les plus beaux quartiers.

Plus graves sont les pertes qui peuvent incomber aux patrons d’hôtels, par suite des vols commis sous leur toit au préjudice des voyageurs. La législation à cet égard n’a pas varié depuis l’ère chrétienne, depuis les Césars ; car c’est le vieux droit romain qui, en ces temps de billets Cook et d’Orient-Express, régit encore la matière. Notre Code civil a traduit le Digeste, les jurisconsultes n’ont rien innové là-dessus depuis la Révolution. Qu’il s’agisse d’un barbare arrivant eu litière par la porte Esquiline, ou d’un banquier d’Australie descendant de wagon avec une fortune en portefeuille, la loi est la même : les aubergistes ou hôteliers, — nautæ, caupones, stabularii, disaient les Pandectes, — sont responsables comme dépositaires, en vertu de l’article 1952, des effets apportés par le voyageur qui loge chez eux.

Ils essaient bien de se dégager, par un petit avis apposé dans tous les appartemens, en prévenant le locataire « qu’ils ne garantissent d’autres valeurs que celles qui leur ont été personnellement confiées ; » leur garantie légale n’en est pas moins illimitée en principe, sauf le cas de force majeure, c’est-à-dire de vol à main armée.