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Toutefois, bien qu’en certaines occurrences, cette obligation ait entraîné pour les hôteliers des condamnations ruineuses, et que leur syndicat n’ait pas réussi dans ses tentatives pour faire limiter, par la loi, le risque qui leur incombe en théorie, leur charge est réduite en pratique par l’arbitrage des tribunaux ; et les voyageurs, le plus souvent incapables de faire la preuve des vols dont ils seraient victimes, font bien de se protéger eux-mêmes. Pour leur donner toute sécurité, tout en leur laissant la libre disposition de leur bien, la plupart des hôtels nouveaux installent au sous-sol une « salle de coffres-forts » semblable à celles des établissemens de crédit, gratuitement prêtés aux voyageurs.

La probité du personnel est d’ailleurs très remarquable. Aux âges d’innocence, dans l’antiquité, le monde des aubergistes était fort suspect : les Hébreux n’avaient qu’un même mot pour désigner « hôtesse « et « courtisane ; » ce qui laisse supposer que les hôtelleries n’étaient pas bien famées. Platon exclut les hôteliers de la république idéale, ostracisme peut-être injuste, puisqu’il frappe aussi les poètes. Mais, à l’origine, en Grèce, les personnages chargés d’organiser l’hospitalité, de guider les étrangers dans leurs affaires et leurs achats, se nommaient des « proxènes ; » ces intermédiaires firent sans doute d’autres besognes obligeantes, à en juger par l’idée moderne qui s’attache à cet emploi. Le code Théodosien dispensait les maîtresses ou servantes d’hôtellerie des peines portées contre les femmes adultères et les récits des voyageurs nous font augurer que la profession d’aubergiste n’était pas un fier métier au moyen âge. Cette réputation légendaire a disparu, et ce métier, aussi respectable aujourd’hui que tout autre, est fort lucratif pour les subalternes qui y coopèrent : dans les bonnes maisons, les valets ou femmes de chambre ont 35 francs de fixe et gagnent 150 francs avec les pourboires ; les garçons ou sommeliers, en habit noir, souvent Allemands ou Suisses, arrivent à 250 francs, — dont 75 francs de gages et le surplus en gratifications de la clientèle. — Les tarifs ont beau stipuler le « service compris » dans la location des chambres, l’usage des pourboires a persisté dans les hôtels, comme dans les cafés et restaurans, grands ou petits.

Quelques administrations ont cherché à l’abolir, le public s’y est obstinément refusé. Lorsque les « bonnes » des Bouillons Duval eurent défense d’accepter, sous peine de renvoi, les 45 centimes