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Les nouveaux envahisseurs ne viennent pas dans le Latium, comme les anciens, pour ruiner, mais, au contraire, pour enrichir. Ils apportent du dehors, dans leurs valises, panem et circenses, et admirent les objets exposés par les siècles, dans cette ville-musée, sans y toucher. Bien loin sont les temps où la France des Valois prétendait dominer l’Italie par ses armes, où les régimens suisses à notre solde bataillaient pour nous la conquérir. C’est aujourd’hui la France qui est ici à la solde d’un Suisse, en la personne d’un de nos compatriotes armé, non de la pique, mais de la broche et du hachoir ; puisque c’est désormais par la cuisine que nous nous imposons au monde civilisé.

Par son contact prolongé avec la population flottante qu’il fallait séduire, entraîner, fixer enfin dans les résidences qu’il lui préparait, Ritz avait appris qu’une table sincèrement bonne était indispensable. Il s’attacha à rendre la sienne telle et à la maintenir sur un bon pied. Sa force était de connaître personnellement la cuisine, de pouvoir diriger son chef et donner un avis compétent sur les plats. Mais il lui fallait un artiste, capable d’exécuter ses vues. Escoffier fut ce lieutenant culinaire. Partout où Ritz fondait un hôtel, Escoffier présidait aux fourneaux. Du Savoy de Londres, il suivit son patron au Grand-Hôtel de Rome et à l’hôtel Ritz de Paris. Maintenant il est de retour à Londres, au Carlton-Hotel, — le dernier en date, — où 120 subalternes conditionnent sur ses données une chère honnête pour 1 000 couverts chaque soir. Demain il remplira le même office au nouveau Ritz-Hotel de Londres, qu’un architecte français est en train de construire au coin de Piccadilly et de Green Park. C’est un personnage ; il jouit d’un traitement de ministre, et sa place est bien plus sûre.


VII

Les Européens prétendent trouver un hôtel à l’image de leur foyer ; les Américains se font plus simplement un foyer de leur hôtel. Beaucoup habitent des villes nées d’hier, dont les premières maisons furent des auberges ; auberges où les colons avaient même des habitudes un peu rudes, si l’on en juge par cette recommandation, clouée encore aux murs des chambres, en certaines localités de l’Ouest : « Les gentlemen sont priés d’enlever leurs bottes, avant de se mettre au lit. » Ils ont plus