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plus claires et, pour les boiseries et les murs, la couleur la plus salissante et qui ne supporte pas la saleté : le blanc. Et cette adoption de la peinture blanche, — à l’exclusion du papier, — téméraire, parce qu’elle rompt avec les vieilles habitudes, l’oblige à entretenir une équipe de peintres qui lessivent chaque mois tous les murs,

A Baden-Baden, à Cannes, au Grand-Hôtel de Monte-Carlo, Ritz perfectionna graduellement ses plans ; il réalisa son idéal à Londres, au « Savoy. » Ce fut le point de départ de modes nouvelles parmi la société anglaise qui, au lieu de passer la season en apartments, dans des maisons meublées, louées aux propriétaires absens, préféra descendre à l’hôtel et y donna des dîners. Les femmes du meilleur monde vinrent, en toilettes décolletées, s’attabler à l’hôtel, en public, comme en un logis privé. Et cela, non dans une ville d’eaux ou de bains de mer, où, personne n’étant censé chez soi, chacun peut trouver naturel de s’installer au casino ; mais dans une capitale et dans un pays où les lois d’une étiquette traditionnelle sont religieusement observées.

Encouragé par son succès, Ritz acquit un terrain à Rome au haut de la via Nazionale, près des thermes de Dioclétien. La vogue du « Grand-Hôtel » qu’il y fit construire a transformé, depuis quelques années, la Ville Eternelle en une station d’hiver. De toutes les parties du monde, et plus spécialement d’Amérique, grâce aux lignes de paquebots directs récemment créées de New-York-Gènes et de New-York-Naples, afflue, de fin décembre à fin avril, cette « aristocratie » mêlée, mi-partie grands seigneurs et plurimillionnaires, mi-partie chevaliers d’industrie et pécheresses à tarifs conventionnels. Par eux, à la Rome des Césars, des Papes, du roi d’Italie, s’ajoute et s’agrège une quatrième Rome : celle de la colonie dorée des nomades, la Cosmopolis du romancier, qui a son palais et son centre au Grand-Hôtel, comme les autres Romes ont les leurs au Forum, au Vatican ou au Quirinal. Et, de toutes, c’est naturellement la Rome du Grand-Hôtel qui est la plus en vue, la plus remuante ; elle répand sur toutes les autres sa poussière de fêtes et de gaité. Car elle fusionne avec toutes et mêle à ses luncheons, à ses parties extra-muros, à ses bals et à ses « cotillons, » payés en dollars d’outre-mer, les artistes et les diplomates, le monde « noir » et le monde officiel, le vieux patriciat indigène et les « belles d’hôtel » de toutes les nations.