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ne sont plus regardées comme intangibles ; et le principe de la conservation de la matière lui-même est fortement ébranlé. Une certaine réserve est devenue la règle : on ne regarde plus comme un axiome l’uniformité de durée du jour sidéral, et Voltaire s’étonnerait de voir les mathématiciens eux-mêmes ne plus être absolument sûrs que la somme des trois angles d’un triangle est égale à deux angles droits. Faut-il, pour cela, s’abandonner à un scepticisme stérile et décevant ? Non certes ! Le physicien Rücker, rajeunissant une célèbre allégorie de Platon, disait récemment à ce sujet : « Un homme regardant dans une chambre obscure et décrivant ce qu’il croit y voir, peut voir juste quant au contour général des objets qu’il discerne et se tromper à l’égard de leur nature et de leurs formes précises. Dans sa description, réalité et illusion peuvent se mêler et il peut être difficile de dire où finit l’une et où commence l’autre ; mais ces illusions elles-mêmes ne seront pas inutiles si elles sont fondées sur un fragment de vérité qui empêchera l’explorateur de marcher dans une glace ou de trébucher dans les meubles. » C’est le cas de l’hypothèse atomique ou, plutôt, de l’hypothèse granulaire : elle unifie tant de faits, elle simplifie tellement ce qui est compliqué ; elle a rendu et elle rend encore, comme nous venons de l’établir, de si grands services, — qu’il s’agisse de la compréhension des phénomènes chimiques ou de ceux qui nous ont occupés dans la dernière partie de cette étude, — que l’on est en droit de soutenir que la structure essentielle de cette théorie est vraie, et que molécules, atomes, corpuscules doivent être considérés comme de véritables réalités physiques, sur la nature intime desquelles il vaut mieux, d’ailleurs, renoncer à se prononcer trop catégoriquement. Que si, plus tard, une hypothèse rivale vient à se produire et se montre plus rapprochée de la vérité, plus féconde, il sera toujours temps de l’adopter, en se rappelant cette maxime, profondément et éternellement vraie, que « c’est parce qu’elle n’est sûre de rien que la Science avance. »


P. BANET-RIVET