Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Burney que les influences qu’elle allait subir ensuite, après la mort de l’auteur de Rasselas. Et si Cecilia avec tous ses mérites, risque aujourd’hui de nous ennuyer plus que le roman qui l’a précédée, ce sont les contemporains eux-mêmes qui se sont accordés à juger absolument illisibles les deux autres romans de miss Burney, Camilla ou la Peinture d’une Jeunesse (1796), et l’Errante, ou les Malheurs d’une Femme (1814). L’auteur d’Evelina était à présent devenue romantique : elle imitait Ossian, Mme Radcliffe, et aussi notre Ducray-Duminil ; car, dans l’intervalle, elle avait épousé un émigré, le vicomte d’Arblay, et était allée avec lui demeurer en France. Rien ne survivait plus de toutes les aimables qualités qui avaient fait le succès de son premier roman. Et, par une étrange ironie de la destinée, la piquante « petite fille » de 1778 s’était transformée en une façon de Mme Duval, mêlant, dans un style d’une affectation ridicule, le mauvais goût de son pays d’adoption à celui de sa patrie.


Si bien que, ayant à nous parler d’elle dans un volume de la collection des Écrivains anglais, M. Austin Dobson n’a guère pu s’arrêter que sur un seul de ses romans, le seul qui justifie sa présence dans cette collection. Mais d’autant plus le savant et ingénieux critique s’est trouvé à l’aise pour faire revivre devant nous, à l’aide du Journal et des lettres de Fanny Burney, quelques-unes des scènes historiques où elle a assisté, et les principales de ces figures de princesses et d’actrices, d’hommes d’État et de poètes, dont, concurremment avec son vieil admirateur et ami sir Josué Reynolds, elle nous a laissé les vivans portraits : figures dont pas une, d’ailleurs, n’a de quoi nous ravir et nous toucher davantage que celle de la « petite Burney » elle-même, silencieuse et timide, promenant autour d’elle, à travers près d’un siècle, le sourire ingénument malicieux de ses grands yeux gris.


T. DE WYZEWA.