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des vols de pigeons tourbillonnent. Et enfin, aux plans extrêmes, les montagnes entourent l’immense tableau d’une éclatante dentelure de neiges.

En Perse où, de temps immémorial, les hommes se sont livrés à de prodigieux travaux d’irrigation pour fertiliser leurs déserts, rien ne va sans eaux vives ; donc, le long des côtés de cette place grandiose, dans des conduits de marbre blanc, courent de clairs ruisseaux, amenés de très loin, qui entretiennent une double allée d’arbres et de buissons de roses. Et là, sous des tendelets, quantité d’indolens rêveurs fument des kalyans et prennent du thé ; les uns accroupis sur le sol, d’autres assis sur des banquettes, qu’ils ont mises en travers par-dessus le ruisseau pour mieux sentir la fraîcheur du petit flot qui passe. Des centaines de gens et de bêtes de toute sorte circulent sur cette place, sans arriver à la remplir tant elle est grande ; le centre demeure toujours une quasi-solitude, inondée de lumière. De beaux cavaliers y paradent au galop, — ce galop persan, très ramassé, qui donne au cou du cheval la courbure d’un cou de cygne. Des groupes d’hommes en turban sortent des mosquées après l’office du matin, apparaissent d’abord dans l’ombre des grands portiques follement bleus, et puis se dispersent au soleil. Des chameaux processionnent avec lenteur ; des théories de petits ânes trottinent, chargés de volumineux fardeaux. Des dames-fantômes se promènent, sur leurs ânesses blanches, qui ont des houssines tout à fait pompeuses, en velours brodé et frangé d’or. — Cependant, combien seraient pitoyables cette animation, ces costumes d’aujourd’hui, auprès de ce que l’on devait voir ici même, lorsque régnait le grand empereur, et que le faubourg de Djoulfa regorgeait de richesses ! En ce temps-là, tout l’or de l’Asie affluait à Ispahan ; les palais d’émail y poussaient aussi vite que l’herbe de mai ; et les robes de brocart, les robes lamées se portaient couramment dans la rue, ainsi que les aigrettes de pierreries. Quand on y regarde mieux, quel délabrement dans tous ces édifices, qui, au premier aspect, jouent encore la splendeur ! — Là-haut, cette belle colonnade aérienne de Chah-Abbas est toute déjetée, sous la toiture qui commence de crouler. Du côté où soufflent les vents d’hiver, tous les minarets des mosquées, tous les dômes sont à moitié dépouillés de leurs patientes mosaïques de faïence et semblent rongés d’une lèpre grise ; avec l’incurie orientale, les Persans laissent la destruction