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étiolé dans l’ombre sainte ; deux ou trois graves vieillards sont accroupis alentour, et chacun tient sa rose à la main, avec la même grâce un peu maniérée que les personnages des anciennes miniatures. Ils étaient là à rêver ou à deviser de choses religieuses ; après de grands saluts et de longs échanges de politesse, ils nous font asseoir sur des coussins, on apporte pour nous des kalyans, des tasses de thé, et puis la conversation s’engage, lente, eux sentant leurs roses avec une affectation vieillotte, ou bien suivant d’un œil atone la descente d’un rayon de soleil le long des émaux admirables, dans le lointain du sanctuaire. Les nuances de cette mosquée et le chatoiement de ces murailles me détournent d’écouter ; il me semble que je regarde, à travers une glace bleue, quelque palais du Génie des cavernes, tout en cristallisations et en stalactites. Lapis et turquoise toujours, gloire et apothéose des bleus. Les coulées de petits glaçons bleus, de petits prismes bleus affluent de la coupole, s’épandent çà et là sur les multiples broderies bleues des parois… Une complication effrénée dans le détail, arrivant à produire de la simplicité et du calme dans l’ensemble : tel est, ici comme partout, le grand mystère de l’art persan.

Mais quel délabrement funèbre ! Le prêtre au turban noir se lamente de voir s’en aller en poussière sa mosquée merveilleuse. « Depuis longtemps, dit-il, j’ai défendu à mon enfant de courir, pour ne rien ébranler. Chaque jour, j’entends tomber, tomber de l’émail… Au temps où nous vivons, les grands s’en désintéressent, le peuple de même… Alors, que faire ? » Et il approche sa rose de ses narines émaciées, qui sont couleur de cire.

Avec eux, on était dans un songe d’autrefois et dans une immobile paix, tellement qu’au sortir des belles portes d’argent ciselé, on trouve presque moderne et animée l’avenue de platanes, où passent des êtres vivans, quelques cavaliers, quelques files de chameaux ou d’ânons…


Avant la tombée de la nuit, un peu de temps me reste pour faire station sur la grande place, où l’heure religieuse de Moghreb s’accompagne d’un cérémonial très antérieur à l’Islam et remontant à la primitive religion des Mages. Aussitôt que la mosquée Impériale, de bleue qu’elle était tout le jour, commence à devenir, pour une minute magique, intensément violette sous les