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de feuillages d’émail vert, qui brodent des complications de kaléidoscope par-dessus les arabesques bleues. Levant la tête, du fond de l’ombre où l’on est, à travers les hauts feuillages qui dissimulent la décrépitude et la ruine, on entrevoit sur le ciel limpide tout ce luxe de joaillerie, que le soleil de Perse éclaire fastueusement, à grands flots glorieux.

Décrépitude et ruine, quand on y regarde attentivement ; derniers mirages de magnificence qui ne dureront plus que quelques années ; le dôme est lézardé, les minarets se découronnent de leurs fines galeries à jours ; et le revêtement d’émail, dont la couleur demeure aussi fraîche qu’au grand siècle, est tombé eu maints endroits, découvrant les grisailles de la brique, laissant voir des trous et des fissures où l’herbe, les plantes sauvages commencent de s’accrocher. On a du reste le sentiment que tout cela s’en va sans espoir, s’en va comme la Perse ancienne et charmante, est à jamais irréparable.

Par des petits escaliers roides et sombres, où manque plus d’une marche, nous montons aux cellules des étudians. La plupart sont depuis longtemps abandonnées, pleines de cendre, de fiente d’oiseau, de plumes de hibou ; dans quelques-unes seulement, un tapis de prière et de vieux manuscrits religieux témoignent que l’on vient méditer encore. Il en est qui ont vue sur le jardin ombreux, sur ses dalles verdies et ses buissons de roses, sur tout le petit bocage triste où l’on entend la chanson des oiseaux et le gargouillis tranquille des kalyans. Il en est aussi qui regardent la vaste campagne, la blancheur des champs de pavots, avec un peu de désert à l’horizon, et ces autres blancheurs là-bas, plus argentées : les neiges des sommets. Quelles retraites choisies, pour y suivre des rêves de mysticisme oriental, ces cellules, dans le calme de cette ville en ruines, et entourée de solitudes !...

Un dédale d’escaliers et de couloirs nous conduit auprès du vieux prêtre qui dirige ce fantôme d’école. Il habite la pénombre d’une grotte d’émail bleu, sorte de loggia avec un balcon d’où l’on domine tout l’intérieur de la mosquée. Et c’est une impression saisissante que de voir apparaître ce sanctuaire et ce mihrab, ces choses que je croyais interdites à mes yeux d’infidèle. Le prêtre maigre et pâle, en robe noire et turban noir, est assis sur un tapis de prière, en compagnie de son fils, enfant d’une douzaine d’années, vêtu de noir pareil, figure de petit mystique