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dans une des relations ennemies, combattant comme un lion, au milieu d’un tas effroyable de morts et de mourans. » Il était près d’être accablé, quand Luxembourg déboucha par la droite avec les bataillons de la Maison du Roi. Ces magnifiques soldats avaient maintenu leur renommée ; leur impétuosité fougueuse avait tout emporté, balayé toutes les résistances. Les deux colonnes se rejoignirent, fraternisèrent et se donnèrent la main. Le premier soin de Luxembourg, dès qu’il fut maître du village, fut d’ordonner la destruction des talus et des murs de terre qui délimitaient chaque enclos ; on avait omis de le faire aux deux premières attaques, et l’on s’en était mal trouvé ; les corps, grâce à cette précaution, communiquèrent plus librement entre eux. Au cours de cette opération, le maréchal courut grand risque. Il se vit tout à coup, au détour d’une ruelle du village, en face d’un groupe d’ennemis, le mousquet en arrêt et tout prêts à faire feu. Ils le couchèrent en joue. Montmorency accompagnait son père ; il se jeta rapidement devant lui, le couvrit de son corps, et tomba aussitôt frappé d’une balle à l’épaule. Sa cuirasse, amortit le coup, et la chair seule fut déchirée. Tandis que l’on pansait la plaie de son sauveur, le maréchal, à quelques pas de là, vit passer un blessé, inanimé, baigné de sang, qu’on emportait sur une civière : c’était un autre de ses fils, le comte de Luxe, grièvement atteint à la cuisse comme il forçait une barricade. On crut, les premiers jours, qu’il faudrait lui couper la jambe ; on évita pourtant l’amputation, mais il ne se remit jamais et dut renoncer au service[1].

Quelles que fussent son angoisse, sa douleur paternelles, le maréchal dut passer outre ; un devoir plus pressant l’appelait. On avait pris Nerwinde ; il s’agissait de s’y maintenir. De toutes parts, les renforts arrivaient à l’ennemi ; Guillaume reprenait la tactique qui lui avait si bien réussi tout à l’heure ; il lançait coup sur coup vers cette position essentielle les bataillons détachés de son centre. Il s’y porta de sa personne. Le combat redevint plus acharné, plus furieux que jamais, les Français, à présent.

  1. « Quel spectacle, — écrit Racine à ce propos, quelques jours après la bataille, — que ce héros qui voit blesser ses deux enfans à ses côtés, et qui n’en perd pas l’action de vue, donnant toujours ses ordres avec la même tranquillité !… Je vois les gens les plus durs et les plus grossiers qui en ont été attendris, et qui se passionnent pour M. de Luxembourg, comme nous pourrions faire. » (Lettre du 5 août 1693). — Œuvres de Racine, éd. Hachette, t. VII.