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Les heures étaient précieuses ; l’organisation fut rapide. Rien n’égalait, en pareilles occasions, la promptitude de Luxembourg. Il envoya quérir la célèbre infanterie de la Maison du Roi, les vainqueurs de Steinkerque, ces bataillons réputés invincibles. Dès qu’il les vit paraître, il galopa vers eux et, levant son chapeau : « Messieurs, leur cria-t-il, souvenez-vous de l’honneur de la France ! » Ils répondirent par des acclamations. Il se mit à leur tête et les porta au pied des hauteurs de Nerwinde, là où les défenses du village se reliaient au grand retranchement. Les brigades du Duc de Bourbon eurent ordre d’attaquer par le front de la position ; les Suisses et les Gardes-Françaises, côtoyant les haies à leur gauche, se glissèrent rapidement vers la face opposée à celle où se trouvait le général en chef. Les princes et les deux maréchaux, Joyeuse et Villeroy, obtinrent, sur leur demande, permission de se joindre à ce suprême effort. A chacun, Luxembourg assigna sa tâche et précisa son rôle. Lorsqu’il en vint au Duc de Chartres : « Vous en tirerez-vous bien ? lui demanda-t-il en souriant. — Non, riposta brusquement le prince ; je suis un trop jeune fou. Mais donnez-moi quelque vieux routier pour me conduire, et je frapperai comme tous les diables ! » On verra qu’il tint parole. Feuquières eut, en l’absence de Villeroy, le commandement du centre ; il reçut les mêmes instructions, mal exécutées tout à l’heure : se porter sur le retranchement et l’aborder de face, dès qu’il le verrait dégarni. Le signal fut donné. Nos régimens, par trois côtés, se ruèrent à l’assaut de Nerwinde avec une furie sans égale[1].

L’attaque de gauche, confiée aux Suisses et aux Gardes-Françaises, réussit la première. Conti, qui les guidait, traversa haies et palissades, renversa, bouscula tout ce qui se trouvait devant lui. Sans ralentir sa course, et débusquant l’ennemi de poste en poste, il le mena battant jusqu’à la grande place du village. Là, sur une barricade, il planta de sa main l’étendard des Gardes-Françaises, fit dire au maréchal qu’il était au cœur de Nerwinde, et demanda qu’on l’y soutînt. Des régimens anglais, soutenus d’un corps nombreux de réfugiés français, se ruèrent sur lui, s’efforçant à le déloger. « Je le vis à trente pas de moi, lit-on

  1. Le récit de l’épisode qui suit est tiré des deux relations de Conti et de d’Artagnan (Archives de la Guerre, t. 1318 et 1206), de la relation de Nicolas de Pomponne (Manuscrit de l’Arsenal 6 040), des relations du Mercure, de la Gazette, des Mémoires de Feuquières, de Saint-Simon, de Saint-Hilaire, etc.