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incomparable, où rien ne trouble l’attention, où tout charme l’esprit et les yeux. On est loin du jour où le directeur Lagrenée, peu d’années avant la Révolution, se plaignait qu’il n’y eût pas à l’Académie un seul livre et avait de la peine à obtenir un insignifiant crédit pour acheter quelques vieux volumes que pourraient lire les pensionnaires. C’est que, de notre temps plus qu’autrefois peut-être, les directeurs comprennent l’importance de leur mission et en goûtent, en quelque sorte à plaisir, tout l’attrait, dans cette résidence qu’ils aiment et qu’ils proclament volontiers la plus belle, la plus agréable, qui, pour un artiste, soit au monde. Même lorsqu’ils se sont éloignés de la Villa Médicis, ils rêvent de la revoir et, ainsi que le notaient dans leur Journal les Goncourt à propos de l’un d’eux, quand leur revient le souvenir du temps qui n’est plus, « ils parlent de Rome, de l’Académie, de la campagne de là-bas, avec une voix amoureuse et comme un homme qui aurait là la patrie de son talent, de ses goûts et de ses bonheurs. » S’il en est ainsi, c’est qu’entre ses hôtes, directeurs ou pensionnaires, notre école de Rome, par une commune existence de plusieurs années, crée comme un indissoluble lien qui, sans rien enlever au caractère propre des conceptions de chacun, les unit dans le culte de l’art éternel.

S’adressant au directeur actuel, lors de sa réception à l’Académie française, un aimable écrivain, M. Alfred Mézières, disait : « Rome est la patrie de votre choix, le séjour que votre pensée habite de préférence, le lieu où vous vivez sur les sommets, dans la contemplation de ce que l’art antique et l’art moderne ont produit de plus achevé et de plus grandiose. » Ne croirait-on pas, à quatre siècles de distance, entendre, traduite en un éloquent commentaire, cette parole d’Erasme, qui résume les impressions de tant de visiteurs de Rome, illustres ou humbles : Anima est Romæ ? Pour ceux qui ont habité ou fréquenté la Villa Médicis, c’est bien là le charme persistant de son souvenir : elle demeure « le lieu où ils vécurent sur les sommets, » où ils pensèrent, méditèrent, travaillèrent, en dehors et au-dessus du trouble de leur habituelle existence. Quelques-uns sont descendus de ces cimes élevées, mais, en ces calmes années du printemps de leur vie, beaucoup y ont puisé leurs inspirations les meilleures et les plus fortes.

Tel est le service que la Ville Eternelle a rendu à d’ininterrompues générations d’hommes. C’est en contemplant, en admirant,