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plusieurs terrasses superposées et d’interminables escaliers. »

A vrai dire, c’est par sa mort plus encore que par sa vie qu’Henri Regnault se rattache à Rome, dont les grands souvenirs ne furent pas sans imprimer à son âme élevée l’empreinte de cette vertu antique à laquelle il ne pouvait penser sans émotion et qui au soldat de Buzenval, comme jadis à celui de Marathon, inspira un héroïsme encore plus attachant dans la défaite que dans la victoire. En ses récits, M. Hébert a évoqué la mémoire d’Henri Regnault : « Quand nous apprîmes, à l’Académie, dit-il, la mort de ce jeune homme si généreux, au talent si plein de promesses, nous fûmes tous comme frappés de stupeur, et je donnai l’ordre de ceindre d’un crêpe le drapeau qui flottait sur la Villa. »

Pendant l’année terrible, l’Académie de France, si cruellement éprouvée, partagea le deuil de la patrie, ses douleurs, ses angoisses. Une crainte hantait le directeur, qui naguère nous la rappelait. Vers cette époque se présentaient souvent à l’Académie des visiteurs à l’allure militaire, à l’accent et à la mine tudesques. Dans l’état d’esprit où l’on était, on se demanda si, dans le malheur de nos armes, l’Allemagne, par une clause spéciale du traité de paix, ne réclamerait pas la Villa Médicis. Tout préoccupé de cette crainte, tout anxieux, M. Hébert vint en France et sollicita une audience de M. Thiers, qui le pria à déjeuner à Versailles et le rassura par ces mots : « Dites aux pensionnaires qu’ils n’ont rien à redouter ; que la Villa Médicis restera à la France, et qu’ils ne se préoccupent que de faire honneur à leur pays par leurs travaux. » Parmi ces pensionnaires, il y avait alors MM. Machard, Barrias, Pascal, Luc-Olivier Merson, Antonin Mercié, l’auteur de Gloria victis. On voit à quel point fut réalisé le vœu de celui qu’on a si justement nommé le libérateur du territoire et qui avait, à un si haut degré, en toutes choses, la passion du prestige de la France.

Depuis ces tristes jours, avec des maîtres tels qu’Hébert, Cabat, Lenepveu, Eugène Guillaume, qui, depuis plus de douze ans, consacre à l’Académie de France sa laborieuse vieillesse, la Villa Médicis a repris le cours normal de ses destinées. Ses appartemens ont été restaurés ; ses tapisseries, dont plusieurs proviennent du palais Mancini, ont été remises en lumière ; ses jardins ont recouvré leur ancienne splendeur ; sa bibliothèque, à laquelle le directeur actuel s’est consacré avec son goût de lettré si fin et si sûr, est plus que jamais devenue un cabinet de travail