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de la surélévation. Ptolémée II Philadelphe, d’une mentalité déjà émancipée par la renaissance alexandrine, poussa l’audace jusqu’à creuser un fossé entre les lacs Amers et la Mer-Rouge ; mais un système d’écluses rassurait l’Egypte contre la crainte de l’inondation marine. Toutefois la navigation, même sous les Ptolémées, resta soumise aux variations du Nil : c’est ce qui empêcha Cléopâtre, après Actium, de faire passer sa flotte d’une mer à l’autre, car le Nil était alors à l’étiage. Vinrent les Romains. L’empereur Trajan reporta de 60 kilomètres en amont de Bubaste, près du point où s’élève aujourd’hui le Caire, la prise d’eau du canal sur le Nil : cette modification paraît avoir rendu possible la navigation durant l’année entière. Les Arabes n’en trouvèrent pas moins le canal presque ensablé : Amrou, le conquérant de l’Egypte, le fit recreuser jusqu’à Colzoun, petit port sur la Mer-Rouge ; les flottes égyptiennes portèrent l’abondance aux villes saintes de l’Arabie. Peut-être de nouveaux ensablemens vinrent entraver le trafic ; peut-être aussi les maîtres musulmans du pays craignirent-ils, à leur tour, de trop ouvrir l’Egypte à l’esprit entreprenant des peuples riverains de la Méditerranée. En 775, le khalife Al-Mansour fit percer le canal à Colzoun sur la Mer-Rouge. Ne recevant plus les eaux marines, les lacs Amers ne furent bientôt que des marécages salins. Puis la section entre Heroopolis et Bubaste finit par s’ensabler. Dès lors, le canal cesse de jouer un rôle dans l’histoire économique de l’Orient.

On voit que l’œuvre de Séti Ier, de Rhamsès Méïamoun, de Néchao, de Darius le Perse, etc., sous les noms qu’elle a successivement portés, — « canal des Pharaons, » « fleuve de Ptolémée » (Ptolemæus Amnis), « fleuve de Trajan, » « fleuve du Prince des Croyans, » — a toujours conservé ses caractères essentiels : intérêt purement local ; tracé à longs détours, resté d’ailleurs inachevé ; navigation intermittente. Ces chefs d’Etat ne se proposèrent jamais l’ouverture aux nations, aperire terram gentibus, qui fit la gloire de Ferdinand de Lesseps.


II

A partir du XIII siècle, la voie de terre restant seule ouverte à travers l’Egypte, c’est Venise qui travaille et qui parvient à s’en assurer le monopole. La « reine de l’Adriatique » apparaît