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garantirent bilatéralement l’indépendance de la Corée, s’engagèrent à n’y pas envoyer ou entretenir plus de soldats l’un que l’autre, à lui prêter conjointement l’aide dont elle pourrait avoir besoin, et à ne pas gêner réciproquement leurs entreprises industrielles ou commerciales chez leur allié. Le Japon était à pied-d’œuvre et avait une belle avance. Il en profita complètement. Le Rapport consulaire français, établi par M. Lefèvre pour l’an 1899, nous apprend que le total des échanges en Corée avait atteint 80 145 956 francs, dont 28 245 313 fr. 20 au bénéfice du Japon, vendeur de 17 311 320 francs et acheteur de 10 933 993 fr. 20. La part de celui-ci représentait donc plus du tiers du commerce total. Et, dans le mouvement de la navigation, son pavillon couvrait à lui seul 2 448 bateaux à voile et 1 179 vapeurs, en face desquels figuraient seulement 61 russes, 4 allemands et 421 coréens.

« Il tient la tête sans aucun doute, » disait M. Lefèvre, « avec les fils et filés de coton, les cotonnades, les allumettes, la bière, le charbon, le cuivre, les lingots, la porcelaine, les soieries. — À l’exportation, le Japon tient également le premier rang. Il achète, en Corée, du riz, des haricots, des peaux de bœuf, de la poudre d’or. La Chine, qui importe de Corée du ginseng, du papier, du poisson sec, de la poudre d’or, occupe le second rang. On peut dire que ces deux pays absorbent la presque-totalité du commerce d’exportation de la Corée. »

On s’explique, dès lors, que la conquête de cette presqu’île soit, en Extrême-Orient, la forme japonaise de l’irrédentisme ! On l’avoue, du reste, franchement à Tokyo. Le journal Djimmin imprimait, au mois de mai 1899 :

« Nous regardons la péninsule coréenne comme notre sphère d’influence par excellence. Nous y avons, en effet, les droits les plus réels, et nos intérêts matériels et politiques y sont énormes. Nous n’avons à redouter, sur ce terrain-là, que la Russie, car elle seule pourrait sérieusement nous contester notre influence. Or, que pouvons-nous demander ? Depuis que le cabinet de Saint-Pétersbourg nous a laissé le champ libre à Séoul, nous ne pouvons désirer qu’une chose : c’est que la présente situation se prolonge indéfiniment. Toute notre politique consistera donc à maintenir le statu quo.

« Tant que la Russie n’aura pas terminé sa formidable installation en Mandchourie, elle ne fera rien en Corée. » C’était parler d’or ! Les actes ne furent pas moins bien inspirés. Le gouvernement mikadonal mit le sceau à sa conquête, patiente et pacifique, en rachetant à des Américains la ligne ferrée construite en 1900 de Séoul à Chemoulpo, et