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Aussi bien, ils diffèrent sans doute par la forme ou par la surface ; mais, au fond, par le sentiment ou l’ethos, ils se ressemblent et ne sont pas très loin de se valoir.

Le chant grégorien, il est vrai, ne manque pas de mérites éminens par où sa faveur peut se justifier. Il a pour lui d’abord le droit d’aînesse et la consécration des siècles. Que les mélodies grégoriennes soient ou non, comme en architecture les basiliques (et la question se discute encore), des monumens de l’art antique appropriés au culte nouveau, elles constituent la plus ancienne musique dont les œuvres soient parvenues jusqu’à nous. Le chant grégorien, plus que tout autre, est contemporain et pour ainsi dire témoin des faits, des idées et des sentimens qu’il chante. Plus proche par les années de l’origine du christianisme, il en est aussi plus voisin par les lieux mêmes de sa naissance, et dans la monodie gréco-latine il n’est pas impossible que des souffles de l’Orient aient passé. Enfin, cette forme de la musique religieuse est de toutes la plus populaire. Elle l’est deux fois, car le plain-chant, fait pour le peuple, vient peut-être dans une certaine mesure de lui. La moderne musique d’église, au contraire, vient trop souvent du monde, et cela suffit pour qu’on la sacrifie à l’autre, car le peuple, et non le monde, est près de Dieu.

Le plain-chant a d’autres vertus encore, dont l’une, et non la moindre, est ce qu’on pourrait nommer la verbalité. Le Motu proprio constate ou rappelle à plusieurs reprises l’éminente dignité de la parole, ses droits au respect et à l’obéissance de la musique. « L’office principal de la musique sacrée est de revêtir d’une mélodie appropriée le texte liturgique proposé à l’intelligence des fidèles ; sa propre fin est d’ajouter à ce texte une plus grande efficacité. » Plus loin : « Le texte liturgique doit être chanté tel qu’il existe dans les livres, sans altération ni trans- position de mots, sans répétition indue, sans briser les syllabes et toujours d’une manière intelligible pour les fidèles qui écoutent. » Ces devoirs impérieux, le plain-chant seul est capable de les parfaitement accomplir. La parole est reine et maîtresse de l’art grégorien, où la phrase mélodique, docile non seulement au sens, mais à l’accent des mots, ne fait que suivre et comme épouser la phrase littéraire. « Au commencement était le Verbe. » Cela est vrai même de l’ordre sonore, et dans la primitive musique, dans la musique du commencement, le Verbe était Dieu.

Serviteur de la parole, le chant grégorien ne l’est pas moins de l’esprit. Il est la forme spirituelle par excellence de la musique. Si pure et si dégagée de matière que soit la polyphonie palestrinienne,