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elle accorde pourtant un peu plus que la monodie grégorienne à la forme et, si l’on peut dire, au métier. L’harmonie et le contrepoint constituent un certain travail, un certain appareil, assurément tout idéal encore, dont le chant grégorien est exempt. La monodie liturgique est un art admirable par ses effets ; dans ses moyens, c’est à peine si l’art est sensible.

Art deux fois religieux, le plain-chant relie les hommes avec Dieu et les hommes ensemble. La polyphonie palestrinienne elle-même serre moins étroitement ce second lien. Quatre voix, fût-ce les plus harmonieuses, ne sauraient signifier l’union, l’unité parfaite, comme font cent ou mille voix qui n’en sont qu’une. Le Souverain-Pontife souhaite « que la règle de la croyance, de la prière, et autant que possible du chant, soit unique. » Il est dans la nature ou dans la vocation particulière du chant grégorien de remplir le dernier de ces vœux.

Qu’il domine donc. Mais que le chant alla Palestrina concoure avec lui. Tant de beautés et de vertus leur sont communes ! Plus jeune que son rival, ou plutôt que son maître, l’art polyphonique a cependant pour lui déjà quelques siècles de gloire et d’une gloire où toutes les gloires sont mêlées : celle des grands hommes qui l’ont fondé ou rétabli et celle des chefs-d’œuvre qu’il a produits ; celle de l’Église qui l’a protégé, dans quelle ville et dans quels sanctuaires ! celle enfin de tant de génies qui ne dédaignèrent pas ses leçons : depuis l’enfant sublime, dont l’un des premiers miracles fut de retenir et d’emporter en son cœur le secret encore inviolé des harmonies sixtines, jusqu’au vieillard, sublime aussi, qui, dans son dernier chef-d’œuvre, a fait planer sur le cristal rougi du sang divin les divines consonances de Palestrina.

Si la polyphonie vocale nous unit moins étroitement que le plain-chant, elle sait pourtant nous rassembler encore ; elle est encore un signe assez sensible, un symbole assez touchant de sympathie et d’unanimité. Soprano, contralto, ténor et basse, toute la voix humaine est comprise en ces quatre voix. Et parce que jamais ou presque jamais elles ne se séparent, parce que l’interprétation personnelle, égoïste, qu’est le solo, leur est interdite, leur concert fraternel est encore une admirable expression, par la musique, non seulement de la foi, mais de la charité.

Nous disons : par la musique, et surtout par elle, car le chant alla Palestrina, — sa nature polyphonique en est cause, — ne saurait être un serviteur de la parole aussi fidèle, aussi dévoué que le chant grégorien. Il laisse moins entendre le texte. Il lui donne moins de valeur