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moins, aux jours d’hymen, de deuil ou de prière, leurs amoureuses, douloureuses et pseudo-mystiques effusions.

Voilà les conditions faites à la musique moderne, afin qu’elle soit d’église. Encore une fois, elles la règlent et la contiennent ; mais elles sont loin de l’étouffer. Elles consistent dans une conformité qui n’a rien de servile, à l’idéal du plain-chant et du chant palestrinien. Or, de ce double idéal, la musique liturgique peut vivre avec honneur, avec profit même, aujourd’hui, demain et toujours. Elle peut créer des chefs-d’œuvre avec et pour une voix seule, avec et pour de nombreuses voix. N’est-ce pas une délicieuse oraison que les Laudes à la Vierge, écrites par Verdi sur des vers de Dante pour quatre voix sans accompagnement ? Notre pays possède une très noble école d’art, la Schola Cantorum, dont les maîtres et les élèves mêmes savent trouver dans la mélodie grégorienne et dans la polyphonie classique dépures et vraiment religieuses inspirations. Certain Regina Cœli, dont l’auteur est une jeune fille, Mlle Blanche Lucas, en fournirait une preuve charmante.

On ne saurait assez conseiller à la moderne musique d’église de s’engager en ce double chemin. Il peut la conduire à des sources inconnues, ou plutôt oubliées, et si riches, que l’autre musique même, la musique profane, en recevra comme la surabondance et le rejaillissement. Elle a déjà connu ces participations heureuses. On rappelait tout à l’heure que le Wagner de Parsifal s’était souvenu de Palestrina. Mais dès les premières notes de ce même Parsifal, dans l’étrange, vaste et lente mélopée où la mesure se fond en quelque sorte dans le rythme, il serait aisé de reconnaître aussi quelque vague influence de l’esprit ou du génie grégorien.

Que cet esprit et l’esprit palestrinien, qui n’est pas moins bienfaisant, se répondent et se concilient. Nous avons besoin de leur secours. Qu’ils nous rendent les biens que nous avons perdus : la mélodie d’une voix seule et l’harmonie de plusieurs voix, la richesse des rythmes, la diversité des modes, tous les élémens, toutes les beautés que la musique vraiment d’église possède en propre et qui, passant dans l’autre musique, sauront le mieux la renouveler et l’enrichir. Alors une réforme, qui ne devait être que liturgique, étendra plus loin ses bienfaits, et l’art chrétien, une fois encore, aura servi la cause et la gloire de l’art universel.


Il ne triomphera pas sans peine, ayant à vaincre le mauvais goût aidé par le mauvais vouloir, mais il triomphera. Les instructions pontificales