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prévoient des objections et des résistances. Elles répondent aux unes et n’admettent pas les autres.

Ni dans l’ordre des sentimens, ni dans celui des faits, on ne saurait chercher de raisons ou d’excuses ; la passion, pas plus qu’une « ignorance honteuse, » ne se peut désormais alléguer. Introduite en France par M. Charles Bordes, qui n’en sera jamais trop remercié, la polyphonie palestrinienne a conquis le respect et même l’admiration générale. Ses chefs-d’œuvre, publiés de nouveau, ne sont pas seulement à la disposition, mais au goût de tout le monde. Quant au chant grégorien, il était, en d’autres temps, « devenu méconnaissable, ses livres ayant été corrigés, altérés, tronqués. Mais les études longues et attentives qu’y ont apportées des hommes remarquables, qui ont bien mérité de l’art sacré, ont changé la face des choses. »

Ces « hommes remarquables, » vous les avez reconnus avant que nous les ayons nommés. Artistes, savans, — et nous taisons le reste de leur mérite, — ils comptent parmi les meilleurs, les plus grands que les maîtres de l’heure, de l’heure trouble où nous sommes, aient dépouillés et proscrits. Voici qu’un pouvoir supérieur à celui qui ne peut frapper que le corps, rappelle leur esprit de l’exil. Hors de France, pour la France et pour toute la chrétienté, l’œuvre de Solesmes se consomme ; les livres, les manuels sont tout près d’être achevés, et dès qu’ils le seront, la musique d’église restaurée empruntera sa règle principale et sa beauté la plus pure à l’idéal bénédictin.

Intérêts, préjugés, routine, tout finira par céder aux vertus fraternelles du plain-chant et du chant alla Palestrina. « D’abord la nouveauté produira de l’étonnement chez plusieurs ; on trouvera peut-être mal préparés quelques-uns des maîtres de chapelle et des directeurs de chœur ; mais peu à peu la chose prendra d’elle-même, et dans la parfaite correspondance de la musique aux règles liturgiques, tous découvriront une beauté et une bonté qui leur avaient échappé tout d’abord. » Le plain-chant apparaîtra « doux, suave, très facile à apprendre. » Et quant à la polyphonie classique, pour nous répondre de son destin, il suffirait au Souverain Pontife d’invoquer l’expérience et les souvenirs personnels qu’il daignait nous rappeler un jour. La première fois que dans son diocèse transformé par ses soins, sous la direction de Don Lorenzo Perosi, les fidèles de Saint-Marc entendirent de nouveau les accords trop longtemps oubliés de Palestrina, la messe à peine achevée, ils se pressèrent autour du cardinal Sarto et de son maître de chapelle, en murmurant avec émotion : « Siamo incantati. »